
Paris, le samedi 17 janvier 2015 – Il est rare que les médecins blogueurs décident de taper sur leurs claviers pour s’enhardir sur des chemins ne concernant pas directement leur pratique et la médecine en générale et pour évoquer le monde comme il va (ou pas). S’ils évoquent parfois la politique, c’est le plus souvent lorsqu’elle a un rapport direct avec leur exercice. S’ils évoquent des événements médiatisés, c’est pour en tirer des conclusions intéressant les professionnels de santé. Mais il est certains jours où taire ses réflexions personnelles est impossible où l’envie impérieuse de dire sa colère, sa peine est plus forte que les règles et limites tacites que l’on s’était fixées. L’attentat contre Charlie Hebdo il y a dix jours fait partie de ses heures noires où chacun a envie de témoigner, de se conter et sans doute aussi de se compter parmi ceux qui s’indignent, qui pleurent et espèrent.
Un matin comme un autre
C’est ainsi que le microcosme de la blogosphère a vu fleurir plusieurs posts ces derniers jours revenant sur les assassinats commis les 7, 8 et 9 janvier sur notre territoire. Très rares sont ceux qui tentent de donner à leurs commentaires une quelconque dimension médicale, pour feindre de rallier cette note singulière, comme entre parenthèse, au reste de leur prose. Il s’agit plus certainement de faire jaillir son ressenti, avec plus ou moins de force et de talent. A cet égard, les mots du « Bruit des sabots » se font souvent remarquer par leur justesse, leur beauté chirurgicale. « Des hommes et des femmes se lèvent un matin. C’est un matin comme un autre, un jour comme tous les autres. Mais ils ne reviennent pas le soir. La toile du quotidien se déchire brutalement pour toutes ces familles, et dans l’espace gris et artificiel que cette violence soudaine a ouvert, notre stupeur semble bien incapable de trouver des mots » écrit le jeune médecin généraliste auteur de ce blog.
Triste monde
Ici pas de digressions politiques, pas de tentatives de réflexions sur ce que ces attentats pourraient dire de notre monde.
D’autres s’y risquent comme la gastroentérologue qui tient le blog « Cris et chuchotements » et qui surtout s’interroge : « Qu’ai-je fait, ou pas fait, pour transmettre un monde pareil ? (…). Maintenant que mes enfants sont adultes, comment vont-ils s’y prendre pour vivre dans un monde de sérénité, de sécurité et de paix ? Un monde qui ne s’anéantisse pas à cause des conneries d’extrémistes invoquant dieu en oubliant qu’ils sont des humains. Ces jeunes adultes sauront-ils métaboliser (on reconnaît dans l’utilisation de ce mot l’influence de la gastro-entérologie, ndrl) les tueries du 7, 8 et 9 janvier, ne pas laisser le monde sombrer dans les violences et les représailles » écrit-elle dressant un sombre et inquiet portrait de l’avenir.
Plutôt que de songer au monde qui s’ouvre, d’autres préfèrent se souvenir. De ce qu’ils faisaient le jour de la tuerie ou la veille. Sylvain Févre avait ainsi présenté le 6 janvier lors d’une réunion de travail « un petit topo qui traitait de violences, de victimes, d’auteurs de psychotraumatismes, de dissociation, de mémoire traumatique » ne songeant sans doute pas à quel point ses réflexions résonneraient d’un écho singulier moins de vingt-quatre heures plus tard.
Croquer en trois mots un certain sens de l’exagération et de la mauvaise foi médicale
Pour trouver un lien avec la médecine, il faut lire le blog « Médicalement geek » écrit par un médecin généraliste qui en guise d’hommage aux victimes a choisi de publier certains des dessins des journalistes tués qui évoquaient le monde médical. On retrouve au fil de ces œuvres les contours humoristiques de chacun, leurs pâtes, leurs traits, leurs travers. Il y a par exemple la tendre ironie d’un Cabu, campant une manifestation de médecins contre la loi de santé où l’on voit les praticiens brandissant des panneaux où l’on peut lire : « Avec cette loi, vous tomberez malade même pendant vos vacances » ou « Avec cette loi, vous tomberez malade même après votre mort» et encore « Avec cette loi, vous ne choisirez plus votre maladie ». Il y a l’esprit toujours potache de Wolinski qui fait dire à une petite fille trainant son ours en peluche qu’elle souhaite devenir colopathe plus grande « pour faire chier tout le monde ». Il y a l’élégance provocatrice d’Honoré montrant un singe menant des expériences sur un homme et qui demande : «Alors vous pensez toujours qu’une espèce est un modèle biologique pour une autre ».
Vous avez-dit psychopathique ?
Et c’est finalement sous la plume du journaliste et médecin Jean-Yves Nau que l’on trouve quelques considérations médicales associées à l’évocation des attentats. Comme souvent chez Jean-Yves Nau, il s’agit notamment de s’intéresser aux mots, à ceux utilisés par les médias pour caractériser les éventuels troubles mentaux dont auraient souffert les assassins. Ainsi cite-t-il un article de Libération revenant sur le parcours d’Amedy Coulibaly à l’origine de la tuerie de Vincennes. « Un expert psychiatre "ne relevait pas de pathologie", selon le jugement du tribunal correctionnel de Paris. Mais "une personnalité immature et psychopathique". Un expert psychologue pointait, lui, la "pauvreté de ses capacités d’introspection ainsi que le caractère très rudimentaire de la motivation de ses actes", "un sens moral très déficient" et une volonté de "toute-puissance" écrit Libération ». Après la reproduction de cet extrait, Jean-Yves Nau s’interroge et propose quelques définitions : « Qui étaient-ils ? Qu’est-ce qu’une personnalité psychopathique ? Et qu’est-ce même que psychopathique ? (…) Pychopathique : " adjectif qui relève de la psychopathie. (…) Les traits les plus marquants des personnalités psychopathiques sont l’instabilité, l’impulsivité, l’intolérance à la frustration, la tendance aux "passages à l’acte ", aux conduites antisociales et amorales (Méd. Biol.t. 31972). (…) ". Et la psychopathie ? : " Maladie mentale; en particulier, déficience constitutionnelle ou précocement installée du contrôle des émotions et des impulsions, avec insuffisance des mécanismes d’adaptation au milieu« (Méd. Biol. t. 3 1972) ». Des définitions qu’il livre à ses lecteurs afin peut-être qu’ils puissent s’ils le souhaitent affiner une ébauche de "diagnostic " mais surtout pour qu’ils mesurent une nouvelle fois la faiblesse des mots et des classifications psychiatriques face au déchaînement de la haine.
Le cas Pelloux
Les mots, il en est également question dans un autre post de
Jean-Yves Nau qui revient sur la façon dont François Hollande a
enlacé longuement et chaleureusement le docteur Patrick Pelloux,
chroniqueur à Charlie Hebdo, lors de la grande manifestation du 11
janvier. Il relève notamment que pour désigner cette embrassade, le
Quotidien du médecin a choisi le mot « accolade ». Or pour le
journaliste le recours à ce terme n’est pas anodin, puisque ce
dernier à l’époque féodal renvoyait au geste fait « dans la
cérémonie de l’adoubement » par le seigneur pour «
conférer (…) le titre de chevalier ». S’agissait-il d’une
telle reconnaissance ? Le Quotidien du médecin veut le croire qui
note, cité par Jean-Yves Nau « Reste qu’à travers sa personne,
c’est bien un médecin, immensément triste, que le chef de l’Etat a
choisi d’embrasser ». Jean-Yves Nau livre pour sa part une
analyse plus critique, empreinte de questionnements. «
Resteront, au-delà des mots, les images. (…) Elles surviennent
à la suite d’une série d’interventions médiatique de Patrick
Pelloux, 51 ans. Elles précèdent une série d’autres interventions
qui marqueront la fabrication et la diffusion (hautement
médiatisée) de la prochaine livraison de l’hebdomadaire satirique
auto-baptisé "journal irresponsable " (…). La rencontre
Hollande-Pelloux ne manque pas de lourds paradoxes (Charlie Hebdo
est né il y a 44 ans d’une couverture censurée du Hara-Kiri hebdo
de Choron-Cavanna , couverture qui fut perçue comme attentatoire à
la dignité et à la mémoire du général de Gaulle). Et maintenant ?
Cette rencontre conduira immanquablement à élargir un peu plus
encore la surface médiatique d’un homme apparu lors de la canicule d’août 2003. Une forte
personnalité (faite chevalier de la Légion d’honneur en avril
2014) qui, depuis onze années, n’a jamais quitté longtemps ni
les médias ni les couloirs ministériels. Son statut de chroniqueur
à Charlie Hebdo (anecdotes de son travail d’urgentiste et
dénonciation des conséquences des décisions politiques prises sur
l’hôpital public) n’a cessé de potentialiser son action de
syndicaliste. De nombreux titres rapportent que Patrick
Pelloux en personne a directement informé (par téléphone) François
Hollande de l’attentat contre Charlie Hebdo…
Et maintenant ? Elargir sa surface médiatique ? Jusqu’où ? Et pour
faire quoi ? Une simple étreinte ? Une véritable accolade ? »
s’interroge le journaliste qui n’hésite pas à aller plus loin que
le simple registre émotionnel où se cantonnent la plupart des blogs
de médecins.
Pour découvrir leur façon d’être « Charlie », vous pouvez
cliquez sur ces liens :
http://lebruitdessabots.blogspot.fr/2015/01/je-suis-charlie.html
http://www.cris-et-chuchotements.net/article-charlie-avenir-violence-vigilance-unitenationale-125352485.html
http://sylvainfevre.blogspot.fr/2015/01/la-cartouche-et-la-plume.html
http://medicalement-geek.blogspot.fr/2015/01/je-suis-aussi-charlie.html
http://jeanyvesnau.com/2015/01/10/tuerie-de-charlie-psychopathiques-ou-illumines-nous-ne-le-saurons-jamais/
http://jeanyvesnau.com/2015/01/12/francois-hollande-patrick-pelloux-une-accolade-ou-une-etreinte/
Aurélie Haroche