
Clermont Ferrand, le lundi 19 janvier 2015 – Les salles de garde seraient des espaces en voie de disparition se désolent certains amoureux de ces traditions séculaires, telles l’Association pour la préservation du patrimoine de l’internat (APPI) ou encore l’Association des salles de gardes des internes des hôpitaux de Paris. Ces organisations montent souvent au créneau pour qu’à l’occasion de travaux ou d’une restructuration ne soient pas sacrifiées systématiquement les fresques qui ornaient les lieux et qui témoignaient souvent d’un petit talent. Ces amoureux de ces dessins géants, représentant très fréquemment des orgies de toutes sortes, peuvent parfois se féliciter de constater que les traditions ne sont pas partout abandonnées et que certains internes ont encore à cœur de consacrer une partie de leur temps libre à la décoration de leurs espaces de repos.
Ainsi au CHU de Clermont Ferrand peut-on trouver une grande fresque où quatre supers héros (Flash, Superman, Batman et Superwoman pour les connaisseurs) font subir les pires outrages à une Wonder Woman dont il est difficile de déterminer avec certitude si elle est ou non victime d’un viol. Récemment, cette fresque sans équivoque a été ornementée de bulles qui lui confèrent un ton plus politique. Superman lance à Wonder Woman en lui présentant son sexe « Tiens la loi de santé », tandis qu’en joignant le geste à la parole Superwoman s’écrie « Prends la bien profond » et que Batman glisse un « Tu devrais t’informer un peu ! ». Autant de bulles qui laissent peu de doute sur le caractère violent des assauts des super héros.
Contraire à la déontologie ?
Cette image et les commentaires qui l’assortissent depuis peu auraient pu (dû ?) rester confidentielles si le groupe des « médecins pigeons » sur Facebook n’avait pas choisi hier matin, jour du Seigneur, de la poster sur sa page pour illustrer son combat contre la loi de Santé. Si la représentation n’est guère demeurée longtemps affichée, cette courte période a suffi pour que les pigeons soient repérés par les gardiennes du temple d’Osez le féminisme. L’organisation a immédiatement fait paraître un communiqué s’offusquant de cette caricature. L’association met notamment en cause le fait que cette mise en scène vise très clairement le ministre de la Santé (même s’il ne viendrait sans doute à l’idée d’aucun médecin que Marisol Touraine puisse être assimilée à Wonder Woman). « Des -futurs- médecins (…) utilisent la représentation d’un viol pour montrer leur mécontentement vis-à-vis d’une Ministre et de sa loi. Les bulles ajoutées sur la fresque sembleraient indiquer que la femme violée, habillée en Wonder Woman, symbolise à leurs yeux la Ministre de la santé. C’est une menace misogyne en sa direction. Le viol est une technique machiste d’anéantissement des femmes. Pour les auteurs de ces bulles, une ministre, c’est avant tout une femme : un sous-être que l’on peut punir, dominer et s’approprier si elle mécontente leurs désirs - ou leurs revendications politiques » martèle Osez le féminisme qui réclame l’intervention immédiate du Conseil de l’Ordre (qui à l’heure où nous écrivons ces lignes n’a pas encore réagi).
L’association souhaite qu’une action soit menée contre les auteurs qui auraient contrevenu aux principes de la déontologie médicale. Du côté du ministère de la Santé, on indique prendre l’affaire au sérieux et on précise dans l’entourage du ministre que celle-ci s’est sentie personnellement visée et juge intolérable l’incitation au viol. Le secrétaire d’Etat chargé de la famille Laurence Rossignol s’est également insurgée. Autant de réactions qui augurent sans doute d’un avenir bien court pour la fresque, avec ou sans ses nouvelles bulles.
Incitation au viol et liberté d’expression
Au-delà de cette fresque, qui n’est sans doute pas la manière la plus respectueuse d’évoquer son opposition à une loi (et dont certains sans doute jugeront qu’elle ne peut pas parfaitement se réclamer de la « liberté d’expression » bien qu’on la défende avec tant de zèle ces derniers jours et à juste titre) et au-delà du fait que l’on puisse douter que les médecins (qui sont majoritairement des femmes) ne se montreraient pas aussi violents si le ministre était un homme, on rappellera que les salles de garde étaient et sont encore toutes ornées de joyeuses représentations égrillardes où les femmes dessinées ne sont pas toujours les dernières à participer aux ébats. Cela n’a pas échappé à Osez le Féminisme qui demande que soit mené un « travail visant à sensibiliser les médecins, les étudiant-es en médecine et à effacer les fresques représentant des violences faites aux femmes qui existeraient dans d'autres internats liés à des hôpitaux publics ou dans des salles de garde ». Reste à savoir jusqu’ou va l’interprétation d’Osez le féminisme, car il est bien des fresques de salle de garde où les ébats semblent parfaitement consentis par les femmes et ne peuvent nullement être considérés comme des incitations au viol.
Léa Crébat