
Paris, le samedi 31 janvier 2015 – La mort en septembre dernier à la maternité d’Orthez d’une parturiente a été largement commentée. Rappelons qu'il s'agissait d'une jeune femme nécessitant une césarienne et au chevet de laquelle avait été appelée une anesthésiste de garde (engagée en intérim par la clinique) qui, ivre, comme elle l’a reconnu, n’a probablement pas été capable de lui prodiguer les soins exigés et notamment de procéder correctement à son intubation. Tandis que certains soulignaient que ce drame illustrait les difficultés grandissantes des petites structures à engager et à maintenir dans leur giron des équipes complètes et stables, d’autres ont préféré s’intéresser à l’alcoolo-dépendance du médecin. Comment était-il possible qu’une personne manifestement sous l’emprise de l’alcool puisse entrer dans un bloc opératoire ? Comment était-il possible qu’un praticien dont la pathologie remontait à plusieurs années n’ait jamais vu sa maladie détectée et prise en charge, afin d’éviter d’une part qu’il représente un risque pour les malades et d’autre part qu’il puisse espérer une guérison ? Absence de médecine du travail pour les praticiens hospitaliers (défaut d’autant plus prégnant ici que le praticien était un intérimaire d’origine belge), effectif en nombre très réduit : les explications n’ont pas manqué. Mais au-delà de ces éléments circonstanciels, beaucoup ont rappelé que cette affaire mettait une nouvelle fois en évidence le tabou qui pèse sur la maladie alcoolique en France, le déni qui empêche une véritable politique de prévention des risques et de prise en charge des patients.
« Ta maman serait vivante »
Cette situation était évoquée par le docteur William Lowenstein sur le blog du médecin et journaliste Jean-Yves Nau par le biais de l’écriture anticipative. Dans une lettre « à un enfant de 16 ans dont la mère mourut à Orthez, le jour de sa naissance, d’un ‘accident d’anesthésie’ », le président de SOS Addictions, décrivait en creux la situation de la France face à l’alcool. « L’alcool était très accessible et on le retrouvait partout, dans les cantines des hôpitaux, des entreprises, des ministères, du Sénat, dans les avions ou les TGV et même à bord des sous-marins nucléaires » rappelait William Lowenstein qui poursuivait en évoquant le sort de ceux « qui perdaient le contrôle de leur consommation » qui se devaient de « le cacher, le nier, le dénier et parfois même vivre quotidiennement avec une bouteille d’eau qui en fait contenait de la vodka (…). Tout le monde pouvait boire, mais personne ne devait en être malade ! Et les malades alcooliques étaient les seuls ou presque à ne pas pouvoir dire qu’ils étaient malades » résumait le spécialiste. Ce dernier voulait croire qu’après l’affaire de la maternité d’Orthez une véritable prise de conscience émergerait et qu’en quinze ans une révolution s’instaurerait. « Aujourd’hui, en 2030, il est impossible de démarrer une voiture ou un deux-roues sans avoir soufflé dans un « alcoolo-starter » ou de conduire un bus, un train, de piloter un avion, de travailler à des postes et de sécurité et de responsabilité sans être assuré au préalable d’un alcotest négatif » rêvait William Lowenstein, avant de préciser concernant les professionnels de santé : « Aujourd’hui, en 2030 le directeur d’hôpital, le chef de service, le chirurgien ou l’infirmier sont tous, naturellement, engagés dans un repérage des troubles addictifs et ne laissent plus entrer dans un bloc opératoire ou une salle d’accouchement un médecin malade. Aujourd’hui, seize ans après ta naissance, s’il était possible de déplacer le temps comme il fut possible avec lucidité et courage de déplacer à partir de 2014 les idées reçues sur les addictions, ta maman serait vivante », achevait-il.
Toi-même, l’évadé fiscal !
Comme beaucoup d’écrits de science fiction, il est fort probable que ce rêve de William Lowenstein demeure une utopie. Les réactions suscitées par la proposition de loi déposée récemment par le député UMP de l’Oise, Lucien Degauchy, confirment en effet que le temps de la fin du déni, de l’acceptation de nouvelles méthodes de prise en charge est loin d’être venu. Il apparaît que l’idée d’un dépistage systématisé est toujours vécue comme une sanction et une atteinte à la liberté et non comme une façon d’offrir une chance aux malades d’être soignés et d’éviter de faire courir aux autres des risques pouvant être facilement évités. Ainsi, sur notre site, les commentaires ont été majoritairement hostiles à l’idée d’imposer un test d’alcoolémie à toutes personnes devant réaliser une intervention chirurgicale afin que puisse être écartés les professionnels dont le test se serait révélé positif. Nos lecteurs s’inscrivent dans la même lignée que le syndicat le BLOC qui, comme nous l’avions souligné, a très vertement réagi à une telle suggestion. L’organisation a suggéré en réponse qu’une proposition de loi interdisant la consommation d’alcool aux députés avant le vote d’une loi soit adoptée ! Et pour finir de démonter le projet de Lucien Degauchy, elle s’est fait fort de rappeler ses délicatesses avec l’administration fiscale en raison de sa possession d’un compte bancaire à l’étranger. Ainsi, même si le syndicat affirme que l’alcool n’est pas un problème de santé publique au sein des blocs et s’il juge que le véritable enjeu concerne la difficulté des petits hôpitaux à maintenir des effectifs suffisants, on le voit l’argumentation est loin de répondre aux enjeux soulevés. Quid par exemple de la notion de « poste à responsabilité » qui exige une véritable protection du public ? L’alcoolémie sur les vols longs courriers est sans doute à peine plus un enjeu de santé publique que dans les blocs (si ce n’est que le risque concerne un plus grand nombre de personnes), pourtant, beaucoup estiment que la réalisation de tests d’alcoolémie chez les pilotes est une mesure de prévention essentielle.
Une bonne blague
On retrouve la même légèreté sur le blog de Cécile Renson, médecin anesthésiste qui exerça jusqu’en 2000 cette spécialité avant de devenir médecin du travail, présidente de l’Association française des femmes médecins, et qui fut élue UMP au Conseil de Paris jusqu’en 2008. Plutôt que de discuter les enjeux évoqués par cette proposition de loi, elle préfère moquer le député et défendre la compétence des médecins en un réflexe sans doute corporatif. « Ce doit être l’attitude de ses collègues après un déjeuner bien arrosé puis le passage à la buvette de l’Assemblée nationale qui lui a fait prendre conscience des dégâts de l’alcool lors de la prise de décision importante. Peut-être est-il sur le point de subir une intervention chirurgicale ? A 77 ans, bien des parlementaires ont confié leur prostate, leurs yeux ou leurs coronaires à des praticiens chevronnés… Et le résultat ne semble pas si médiocre » ironise-t-elle, bien qu’elle appartienne au même bord politique que Lucien Degauchy. Elle poursuit en listant toutes les précautions qu’il faudrait prendre pour que seuls les « parlementaires en état de débattre » soient qualifiés « d’aptes » par la médecine du travail. Ainsi donc est totalement passée sous silence la question du dépistage de la consommation d’alcool chez les professionnels de santé. Plus encore, l’alcoolisme, les risques qu’il représente pour le patient et pour les autres, est un sujet moqué.
Fausse route
Il n’est cependant pas que sur le ton de la plaisanterie que des propositions concernant la lutte contre l’alcoolisme et les ravages de l’alcool ont été critiquées cette semaine. Bien plus sérieusement, il y en eut pour s’interroger sur la portée des annonces du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve qui souhaite diminuer le taux d’alcoolémie autorisé chez les conducteurs novices. Les interrogations des spécialistes sont par exemple lisibles sur le blog de Jean-Yves Nau qui cite le Docteur Lauwick, généraliste et président de la commission « alcool, vitesse et stupéfiants » du Conseil national de la sécurité routière (CNSR). « L’abaissement de l’alcoolémie légale pour les conducteurs novices permet de faire passer le message que « quand on conduit on ne boit pas », mais elle ne changera pas la face du monde dans la mesure où l’alcoolémie responsable d’accident est souvent beaucoup plus forte que 0,5 g/l », explique-t-il dans ce qui pourrait paraitre à certains comme un sophisme.
Démission collective
Le père de Charlotte, 23 ans, tuée le 1er avril 2012 alors qu’elle roulait sur la RN171 peut en témoigner. Le chauffard ivre qui l’a percutée et l’a tuée conduisait avec 2,31 g/litre. Ce qui révolte ce père qui évoque son drame sur le site « Le Plus » du Nouvel Observateur c’est que « cet homme ne s’est pas alcoolisé seul… Si, lors des premières dépositions, des personnes supposées avoir partagé la soirée avec le chauffard se sont accordées sur un mensonge collectif pour se dédouaner, d’autres dépositions, par la suite, ont établi les faits avec plus d’exactitude : le chauffard s’est alcoolisé durant une partie de l’après-midi puis durant toute la soirée en compagnie d’un ami. (…) "Je l'ai déjà entendu dire que si un jour il mourrait, ce serait dans un accident de voiture". Voilà ce qu'a déclaré l'ami du chauffard lors de son audition par les officiers de police judiciaire. (…) Devant le tribunal, cet individu, celui qui a laissé son ami reprendre le volant alors qu’il était complètement ivre, celui qui avait conscience du risque mais qui n’a pas cherché à le prévenir, n’a cherché qu’à fuir ses responsabilités. Une fois encore » raconte Pierre Lagache. Aujourd’hui, celui qui se bat pour que soit reconnue par la justice la responsabilité de ceux qui s’aveuglent en laissant un proche totalement ivre prendre le volant, remarque : « Ne pas juger c’est banaliser (…). Je suis convaincu que, dans certaines situations extrêmes, face à l’alcool, la question de la coresponsabilité est posée. On ne peut plus fermer les yeux. Il est temps de faire évoluer les mentalités, d’en finir avec l’idée de fatalité et avec cet encouragement à la démission de chacun. (…). A quoi bon, sinon, abaisser encore le taux légal d’alcoolémie pour les conducteurs novices, comme vient de décider M. Cazeneuve ? A quoi bon, alors déployer la police sur les routes ? A quoi bon, mettre en place des campagnes de prévention ? » s’interroge-t-il. Un appel à ouvrir les yeux, à une prise de conscience générale sur le fléau de l’alcool dont rêvait également William Lowenstein mais dont certaines réactions suggèrent qu’elle n’est sans doute pas pour aujourd'hui ni même pour demain.
Pour en lire plus, vous pouvez cliquer sur les liens suivants :
http://jeanyvesnau.com/2014/10/09/pour-ne-pas-en-finir-avec-laffaire-de-lanesthesiste-souffrant-de-maladie-alcoolique/
http://www.ucdf.fr/actualite/203-a-propos-du-controle-d-alcoolemie-avant-d-operer
http://cecilerenson15eme.hautetfort.com/archive/2015/01/28/une-proposition-de-loi-5546369.html
http://jeanyvesnau.com/2015/01/27/alcool-le-novice-au-volant-ne-boit-pas-ou-moins-dun-verre-pourquoi/
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1313953-j-ai-perdu-ma-fille-lors-d-un-accident-de-la-route-l-alcool-tue-encore-changeons.html