La médecine sous le feu

Les récentes attaques terroristes en France, retransmises en direct à la télévision, ont montré au grand jour l’implication de médecins qui ont intégré les équipes d’intervention des forces de l’ordre pour apporter le secours médical au plus près de l’action. Cagoulés et protégés par des équipements identiques à ceux de tous les membres du RAID ou du GIGN, ces confrères, qui gardent un strict anonymat, apportent aux forces de l’ordre mais aussi aux victimes leur technicité en médecine d’urgence. Triés sur le volet tant sur leurs qualités physiques que psychologiques, ils sont généralement recrutés parmi les spécialistes d’anesthésie-réanimation. A Paris on les a vus intervenir directement lors de l’assaut donné au magasin Hypercacher et assurer l’interface avec les secours classiques, placés à distance des évènements en zone sécurisée.

Ces médecins, qui ne donnent pas d’interview, agissent en toute discrétion et sont pour les policiers et les gendarmes qui interviennent l’assurance de pouvoir bénéficier des gestes procurant, même si l’action est encore en cours, le maximum de chance de survie en cas de blessures par arme à feu. En effet, ces interventions sont à haut risque pour les équipes d’assaut des forces de l’ordre et sont souvent à l’origine de blessures par arme à feu ou de traumatismes comme ce fut le cas à Paris où plusieurs policiers ont été blessés.

Tactical combat casuality care  (TCCC)

Cette médecine « sous le feu » a pris son origine dans le concept Nord Américain de TCCC à la fois dans l’armée américaine (1) et dans les interventions civiles au cours de nombreuses fusillades aux USA. Constitué à l’initiative du Département de recherche en chirurgie de l’armée américaine, le Wound Data and Munition Effectiveness Team a étudié l’ensemble des données médicales disponibles lors des différentes opérations militaires. Un registre civilo-militaire des lésions traumatiques au cours d’opérations militaires a été mis en place pour identifier en particulier celles entraînant des décès rapides au moment de l’action afin de tenter de les prévenir. L'étude des blessures a identifié les trois conditions suivantes comme principales causes de décès évitables sur le champ de bataille :

1) l’obstruction des voies aériennes dans 6 % des cas,
2) un pneumothorax sous tension dans 33 % des cas,
3) l'hémorragie des blessures des extrémités dans 60 % des cas.

L’analyse des rapports d'autopsie de la guerre d’Irak a indiqué un taux de mort évitables sur le champ de bataille de 10 à 15 % grâce à la désobstruction des voies respiratoires et de 33 % grâce à l’application d’un garrot pour les hémorragies des extrémités. De ces études de « médecine par les preuves » sont nées des techniques de prise en charge qui font la spécificité des soins tactiques sous le feu (TCCC) enseignés aux médecins, paramédics, infirmiers et secouristes militaires.

Les interventions des forces de l’ordre étant similaires au plan du risque à celles des militaires, ces techniques ont été rapidement diffusées aux policiers américains et aux services d’urgences préhospitaliers assurant en Amérique du Nord leur soutien sanitaire.

Trois phases d’intervention tactique

Les soins tactiques sous le feu se déroulent en 3 phases ; une phase de soins sous le feu direct, une phase de soins tactiques sur les lieux de l’affrontement et une phase de soins tactiques lors de l’évacuation. L’objectif globale de cette médecine est d’associer les bonnes tactiques d’intervention à de la bonne médecine.

Les spécificités de cette médecine sous le feu sont les suivantes :

1. L'utilisation précoce de garrots pour contrôler cliniquement une importante hémorragie des extrémités
2. L’antibioprophylaxie systémique et l’irrigation des blessures
3. Un accès intraveineux ou intra-osseux approprié et la réanimation liquidienne adaptée.
4. L’analgésie rapide sur les lieux par des opiacés par voie intraveineuse ou intramusculaire.
5. L’utilisation de dispositifs de libération du naso-pharynx pour assurer la perméabilité des voies respiratoires en première ligne
6. La mise en place d’accès chirurgicaux de la trachée pour les traumatismes maxillo-faciaux avec obstruction des voies respiratoires
7. Un diagnostic agressif et le traitement de pneumothorax sous tension via une décompression à l'aiguille
8. L’intégration des  techniques de soins sous le feu pour les intervenants de terrain lors des interventions sous le feu
9. L’emploi de tactiques et de scénarios cliniquement pertinents dans la formation à l’intervention sous le feu

Cette médecine militaire sous le feu a été très rapidement adoptée aux USA en pratique civile lors des problèmes liés aux tireurs notamment dans les écoles et pour les actes intentionnels à nombreuses victimes comme les attaques terroristes ou les explosions. Elle a donné lieu au consensus de Hartford (2) pour améliorer le taux de survie de ces victimes civiles qui s’apparentent aux blessés de guerre. Ce consensus est résumé par l’acronyme THREAT avec :

- T pour Threat suppression : suppression de la menace
- H pour Hemmorrage control : contrôle des hémorragies
- R et E pour Rapid Extraction to safety : extraction rapide vers un lieu sécurisé
- A pour assessment by medical providers : évaluation médicale
- T pour Transport to definitive care : transport vers un centre médical adapté.

Ce consensus de l’ensemble des agences des USA compétentes et des sociétés savantes, en particulier l’American College of Surgeon, prévoit aussi une réponse intégrée dans les forces de l’ordre avec la formation qui permet à chacun de secourir efficacement son collègue en cas de blessure.

En France les équipes spécialisées des forces de police et de gendarmerie ont mis en place ces techniques de soins sous le feu. Elles doivent maintenant être diffusées aux forces de secours (pompiers, smur) qui interviennent aux cotés des policiers lorsqu’il se produit un événement violent avec armes à feu, avant la mise en œuvre des équipes spéciales, car eux aussi mais aussi les civils visés doivent bénéficier des meilleures chances de survie. Une attaque aux armes de guerre n’est malheureusement plus, comme le prouve la tragique actualité, exceptionnelle.

Dr Francis Leroy

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