
Bordeaux, le samedi 21 février 2015 – On compte de nombreux petits garçons et petites filles que la conquête spatiale fascine. Ils savent à peine lire que déjà ils connaissent la distance nous séparant de telle ou telle planète, les dates des plus importantes missions, les noms des astronautes qui ont façonné la légende. Tous les ingrédients indispensables pour aiguiser l’imaginaire des plus jeunes sont présents: le goût pour l’aventure, la peur grisante et séduisante de l’inconnu, la curiosité pour les sciences et le fonctionnement du monde. La passion s’émousse chez la plupart de ces petits astronautes en herbe ; mais d’autres ne renoncent pas au rêve de mieux connaître les étoiles. Jérémy Saget fait partie de ceux là.
De savant à astronaute, jusqu’à la médecine
Il aime à raconter qu’à l’âge de deux ans, jeune curieux, il annonçait vouloir devenir « savant ». Quelques temps plus tard, sa vocation avait un peu évolué: il s’imaginait plus certainement sous les traits d’un cascadeur. A cinq ans, sa conviction était faite: pour répondre à ses différentes aspirations, la « soif de connaissance » et le goût de l’aventure, le métier d’astronaute était tout indiqué. Bien que né sous une bonne étoile il y a trente-sept ans, Jérémy Saget n’a pas épousé la carrière à laquelle il se destinait avec tant de fougue dans sa plus tendre enfance et il est aujourd’hui médecin. Pourtant, jusque dans sa vie professionnelle, la persistance de sa passion pour l’espace est parfaitement visible: sa carrière est partagée entre un cabinet en ville et Novespace, une filiale du Centre national d’études spatiales (CNES) basée à Mérignac, dont il fait partie de l’équipe médicale.
Plus fort que la NASA ?
Jérémy Saget connaît tous des projets, des plus fous au plus sérieux, qui nourrissent la conquête spatiale. Il ne pouvait pas passer à côté de Mars One, lancé publiquement en 2012 par Bas Lansdorp et Paul Römer, deux néerlandais, le premier ingénieur et le second connu pour avoir créé le programme de téléréalité Big Brother. Cet improbable duo affirme depuis 2012 que l’envoi d’un vol habité sur Mars, projet évoqué régulièrement par la NASA, mais tout aussi souvent repoussé en raison d’importantes contraintes techniques, serait réalisable à brève échéance grâce à des technologies déjà existantes, telles celles développées par l’entreprise américaine Space Exploration Technologies Corporation (SpaceX) une des deux sociétés privées collaborant avec la NASA.
Aller simple
Mars One est sous le feu des critiques scientifiques depuis son lancement. De nombreux spécialistes ont tour à tour tenté de mettre en lumière les lacunes du projet. La plus médiatisée des objections fut celle évoquant le risque d’asphyxie de l’équipage, au bout de 68 jours, en raison de l’impossible gestion de l’oxygène généré par les plantes. Mais, outre les détails techniques, Mars One suscite plus que l’interrogation en raison de son modèle de financement. Si Paul Römer fait partie de l’aventure, c’est qu’il projette d’engranger de l’argent grâce aux droits de diffusion des images de la vie sur Mars : les volontaires envoyés pourraient en effet voir leur nouvelle existence filmée 24h/24. Enfin, Mars One est un programme de colonisation de la planète rouge… sans espoir de retour après un voyage de sept mois.
De 202 586 à 100
L’ensemble de ces éléments critiques n’altère en rien l’enthousiasme de Jérémy Saget. Dès l’appel de Bas Landsorp et Paul Römer en vue de constituer les six équipes de quatre personnes qui devront être envoyées sur Mars à partir de 2023 (le 14 septembre très précisément, selon la page Wikipedia présentant le programme !), le médecin bordelais s’est inscrit sans hésiter. Il a fait partie des 202 586 personnes qui se sont déclarées prêtes à tenter l’aventure. A l’issue d’un premier « round » de sélection, on ne comptait plus que 705 candidats en lice, dont Jérémy Saget. La nouvelle sélection a comporté des tests psychologiques et des entretiens réalisés sous le contrôle du Docteur Norbert Kraft, membre de la NASA pendant quinze ans, et qui a également travaillé pour l’agence spatiale japonaise (et dont certaines mauvaises langues pourraient se demander pourquoi il a quitté ces prestigieuses institutions pour rejoindre Mars One…). Quoiqu’il en soit, ce lundi, les noms des cent derniers candidats (24 doivent en théorie faire partie de l’expédition finale) ont été communiqués. Jérémy Saget est le dernier Français en lice.
Vers l’infini…
Le praticien a reçu cette nouvelle avec la joie de ceux qui se réjouissent de pouvoir prochainement atteindre leur rêve. « Il s’agit quand même de passer d’un monde fermé, fini en apparence, à un monde ouvert, infini. Sortir du berceau. C’est la nature de l’homme d’explorer, se dépasser, s’aventurer. C’est un destin collectif et je pense qu’il faut inspirer les nouvelles générations, réenchanter le monde. J’ai développé une foi dans ce projet, parce que c’est cohérent avec ma vision, une convergence de mes passions pour la science, la technologie, l’humanité. Et j’en accepte tous les paradoxes » affirme-t-il dans une interview lisible sur le site français de « Mars One ». Difficile cependant, au-delà de cette « profession de foi » de ne pas chercher à comprendre comment un passionné d’astronomie ne peut concevoir quelques réserves face aux lacunes du projet. A son sens, ce dernier est un travail en gestation, dont les promoteurs sont attentifs à toutes les suggestions. « Le rapport du MIT était très instructif. Il aborde notamment le problème crucial du ravitaillement en pièces détachées, qui devrait être réalisé tous les deux ans par cargo. Les médias n'en ont finalement retenu qu'un seul aspect, celui lié à la gestion de l'oxygène généré par les plantes, qui pourrait contribuer à l'asphyxie de l'équipage au bout de 68 jours. Mais cela a été réglé. Des solutions ont été envisagées pour ça. Il en est de même pour la gestion des panneaux solaires durant le voyage » détaille-t-il par exemple à Sud Ouest. En tant que médecin, Jérémy Saget envisage également certains risques avec un recul statistique. « Nous avons notamment estimé le niveau de radiations auxquels seraient exposés les colons. Environ 1000 milliSievert au cours de la mission, dont la moitié au cours du voyage. Cela correspond à la dose admise pour un astronaute au cours de sa carrière », explique-t-il par exemple.
Au clair de la Terre
Confiant, enthousiaste, Jérémy Saget n’en nourrit pas moins plusieurs peurs. « Ce que je crains le plus, en pleine conscience, c’est le voyage vers Mars, avec mention spéciale pour l’EDL (Entry, descent and landing, soit Entrée, descente et atterrissage, ndrl), huit minutes de terreur, puis la vie sur place (…) avec tous ces défis inédits qui nous attendent, avec cette "pale blue dot" (point bleu pâle, soit la Terre, ndrl) dans le ciel rouge et poussiéreux » évoque-t-il pour 20 minutes. Le praticien estime d’une manière générale que les principales difficultés seront d’ordre psychologique. Comment à cet égard ne pas évoquer la famille qu’il envisage de laisser sur Terre et notamment son épouse et ses deux enfants. « Je suis un mari et un père aimant, mais je ne veux pas renoncer à ce qui me définit. D’une manière ou d’une autre, je serais toujours là pour eux » avance-t-il, les yeux braqués vers les nouveaux tests de sélection et vers 2022… à moins que d’ici là les faiblesses de Mars One fassent exploser ce rêve en éclat.
Aurélie Haroche