Vies minuscules, polémiques majuscules

Paris, le samedi 21 février 2015 – En novembre 2013, le professeur d’anthropologie Charles Gardou (université Lumière-Lyon-II) qui a consacré de très nombreux ouvrages au handicap et à sa place dans nos sociétés, lançait une pétition visant à l’instauration « d’un mémorial en hommage aux personnes handicapées victimes du régime nazi et de Vichy ». Dans ce texte, Charles Gardou rappelait que parallèlement à l’extermination de plus de 275 000 enfants et adultes handicapés moteurs et psychiques en Allemagne, en France « 50 000 personnes internées dans les hôpitaux psychiatriques français, sous le régime de Vichy sont mortes par abandon, absence de soin, sous-alimentation et autres maltraitances ». Cet appel a rencontré un assez large écho : 75 000 personnes ont signé la pétition, dont de nombreuses personnalités, le généticien Axel Kahn, l’anthropologue François Héritier ou encore les psychiatres Marcel Rufo et Serge Tisseron.

Devoir de mémoire

Il y a dix jours, comme l’a révélé le journal le Monde, le Président de la République François Hollande a répondu favorablement à cette demande. « Je partage votre volonté, qui est aussi celle des nombreuses personnes qui ont signé votre pétition, qu’à ce délaissement de la République ne s’ajoute pas le silence de l’oubli. Il est important que, dans les principaux lieux où cette tragédie s’est déroulée, des gestes puissent être effectués afin d’en rappeler le souvenir et d’en honorer les victimes. En cette année 2015 qui marque le 70ème anniversaire de la victoire sur le nazisme, le rappel de cette page sombre de notre histoire sera aussi un appel à chacun d’entre nous, la réaffirmation que dans une société humaine, aucune vie n’est “minuscule” et que c’est à la façon dont elle traite ses personnes vulnérables que l’on juge une civilisation », écrit le chef de l’Etat à Charles Gardou qui s’est félicité de cette réponse.

Bouillie mémorielle

Cette dernière n’effacera cependant peut-être pas totalement les controverses suscitées par ce sujet, qui remontent à plusieurs années et qui ont été quelque peu réactivées par le lancement de cette pétition. Les privations dont ont été victimes des dizaines de milliers de personnes internées dans les hôpitaux psychiatriques sous le régime de Vichy (privations officiellement légitimées par la Direction générale de la santé de l'époque, affirmant impossible d’octroyer des rations supplémentaires pour ces malades, notamment ceux présentant les infirmités les plus lourdes), le délaissement et l’absence de soins qui ont conduit un très grand nombre à la mort sont unanimement reconnues. Néanmoins, les liens établis par certains entre cette hécatombe et les programmes des nazis ont nourri les affrontements entre d’une part plusieurs psychiatres tenant d’une « thèse » évoquant une détermination vichyste dans la mort des handicapés et d’autre part plusieurs historiens soulignant qu’une telle interprétation méconnaitrait la réalité. Aujourd’hui encore, certains spécialistes de cette période sont mal à l’aise avec la présentation faite par les auteurs de la pétition. Dans le texte de cette dernière, un parallèle constant est fait entre les victimes des nazis et celles abandonnées par Vichy et la France de 40, même si la pétition précise bien qu’il n’y a pas eu d’extermination programmée en France. Cette présentation a dissuadé l’historienne Isabelle von Bueltzingsloewen, auteur d’un livre sur le sujet intitulé « L’Hécatombe des fous » paru en 2007 d’ajouter sa signature au texte. « En soi bien sûr, l’intention est honorable, mais je ne peux signer un appel qui, dans sa formulation ambiguë et bien qu’il s’en défende, dresse un parallèle entre ce qui s’est passé en France et en Allemagne » explique-t-elle au Monde, en regrettant une forme de « bouillie mémorielle ».

Délaissement généralisé

Au-delà de ces controverses, on retiendra le souhait exprimé par Charles Gardou que ce mémorial permette « d’attirer l’attention sur le fait qu’on néglige trop souvent les plus vulnérables, rappeler qu’il n’y a pas de vies minuscules ». A cet égard on peut espérer que l’indifférence d’hier (car comment oublier que ces 50 000 personnes abandonnées dans les asiles avaient pour leur très grande majorité des familles) ne soit plus celle d’aujourd’hui.

Aurélie Haroche

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