Ebola : MSF fait le bilan d’une année de chaos

Paris, le lundi 23 mars 2015 – Il y un an, quasiment jour pour jour, les autorités sanitaires guinéennes annonçaient l’identification de quatre cas de fièvre Ebola dans la capitale. C’était la première fois que ce virus s’invitait dans une cité d’une telle importance (elle abrite deux millions de personnes), ainsi qu’en Afrique de l’Ouest. Ces premiers cas inquiétants, qui faisaient suite à plusieurs semaines d’incertitudes, étaient les prémices d’une explosion qui devait tuer plus de 10 000 personnes en Guinée, Libéria et Sierra Leone.

Pas seulement une fatalité

Un an après, l’organisation Médecins sans frontières (MSF) publie un rapport sur ces douze mois d’action et de chaos. MSF a été, depuis l’identification des premiers cas, en première ligne dans ce combat. Dans la rétrospective que propose l’association, habituée à ce type d’analyse médicale et politique, elle remet tout d’abord en question l’idée que compte tenu de la méconnaissance du virus Ebola, de la vétusté des systèmes sanitaires des pays touchés et de la rapidité de propagation, le fiasco était inévitable. « On a souvent dit que cette épidémie était le fruit d’une accumulation de mauvaises circonstances. Une épidémie étendue sur plusieurs pays, dotés d’un système de santé faible et n’ayant jamais dû faire face au virus Ebola » rappelle Christopher Stokes, le Directeur général de MSF. « Cette explication est incomplète. L’ampleur atteinte par l’épidémie est aussi due à une réaction défaillante de plusieurs institutions. Leur inaction a eu des conséquences tragiques qui auraient pu être évitées ». En ligne de mire du patron de MSF les autorités des pays concernés, demeurées pendant plusieurs mois dans le déni, mais aussi et surtout l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). On se souvient en effet qu’il fallut attendre le mois de juin, pour que Genève reconnaisse le caractère totalement exceptionnel de l’épidémie, alors que MSF ne cessait de multiplier les alertes. Une cacophonie que Christopher Stokes résume sèchement : « L'OMS aurait dû combattre le virus, pas MSF ». « Des milliers de personnes ont payé de leur vie l’échec de la réponse apportée à l’épidémie », va même jusqu’à conclure le rapport.

Pire que dans certaines zones de guerre

Mais le rapport de MSF ne se contente pas de cibler les défaillances extérieures. Il revient également de manière critique sur sa propre action. Au sein de MSF, la prise en charge des malades a en effet donné lieu à des débats internes intenses, comme le reconnaît elle même la présidente de l’organisation, Joanne Liu. La méconnaissance d’Ebola, le flux très important de patients, notamment durant les mois d’été, et les conditions de la quarantaine ont en effet eu un impact sur la prise en charge des malades. MSF reconnaît notamment que ses équipes ont été contraintes à de nombreuses reprises de renvoyer chez elles des personnes visiblement malades faute de place. La situation particulièrement critique du centre Ebola Elwa 3 à Monrovia est notamment évoquée. « Notre personnel était contraint de renvoyer chez elles des personnes visiblement malades, tout en sachant qu’elles seraient de nouveaux vecteurs de propagation du virus en rentrant dans leurs communautés » indique le rapport. Les regrets et critiques concernent cependant plus encore les patients qui avaient pu être admis et la qualité des soins qui ont pu leur être prodigués. « Nous ne pouvions offrir que des soins palliatifs très basiques et il y avait tellement de patients et si peu de personnel que le personnel n'avait en moyenne qu'une minute par patient. C'était une horreur indescriptible », raconte une humanitaire citée dans le rapport. Le document de MSF insiste encore sur le fait que la létalité a été parfois supérieure à certaines zones de guerre.

Des soins plus humains et plus performants auraient été possibles

Pour certains, ce contexte ne permet cependant pas d’expliquer totalement que des soins différents n’aient pas été mis en œuvre. « Il y avait de larges marges d'amélioration. Dans beaucoup d'endroits il était possible de faire des réhydratations, des antibiothérapies, qui auraient permis de sauver un certain nombre de patients », estime par exemple l’ancien président de MSF Rony Brauman. Ce constat est partagé par d’autres ONG. « On aurait pu utiliser plus de traitements expérimentaux à titre compassionnel, effectuer plus d'analyses biologiques pour mieux connaître la maladie, plus de réanimation... » juge par exemple Isabelle Defourny directrice des programmes de l’ONG Alima. Beaucoup a également déjà été dit sur les limites entraînées par les lourdes combinaisons de protection. Le New England avait par exemple publié le témoignage d’une infirmière évoquant sa douleur de ne pouvoir toucher plus librement les enfants agonisants, avec pour seul réconfort un visage inconnu derrière un masque. De telles observations poussent les associations à réfléchir à une évolution des systèmes de protection pour qu’ils allient humanité et souci de sécurité. « Par exemple dans la façon dont on monte les centres, on peut mettre en place des couloirs en plexiglas qui permettent d'isoler les patients mais de les voir sans porter la combinaison » propose Isabelle Defourny.

Cinq cent professionnels de santé tués en un an

Enfin, le rapport de MSF revient sur la situation actuelle. D’abord, il met sévèrement en garde contre tout triomphalisme prématuré. Il rappelle que l’épidémie est loin d’être sous contrôle et ce dans les trois pays. Ainsi, en Guinée, on assiste à une nouvelle augmentation du nombre de cas, tandis qu’en Sierra Leone, les patients pris en charge ne sont pas toujours des personnes citées comme des « contacts » par les malades déjà identifiés. Enfin, au Liberia où la situation apparaît la plus favorable, après quinze jours sans nouveau cas, un nouveau signalement a été déploré le 20 mars à Monrovia. MSF insiste également sur les graves conséquences pour les systèmes sanitaires déjà très affaiblis de ces pays. Des campagnes de vaccination sont nécessaires de façon urgente pour éviter que des maladies telles que la rougeole ne refassent leur œuvre. Des programmes de prise en charge contre le VIH, la tuberculose et l’accompagnement des femmes enceintes doivent être rapidement réengagés. Mais leur efficacité dépendra de la confiance des populations, aujourd’hui très entamée ; ce qui continue par ailleurs à rendre difficiles les messages de prévention concernant Ebola. Enfin, les difficultés des systèmes de santé ont été encore accrues par le décès de nombreux professionnels de santé : 500 médecins et infirmiers sont morts l’année dernière dans des pays où la densité médicale était déjà très faible. Au sein de MSF, 28 personnes ont été touchées par le virus et quatorze sont mortes. Uniquement des ressortissants locaux.

Aurélie Haroche

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