Un métier idéal ?

Paris, le samedi 11 avril 2015 – Existe-t-il seulement ? Faut-il y croire ? Des milliers de gens font leur travail par nécessité, empilent les heures passées dans une usine ou dans un bureau en espérant que grâce à ce labeur ils pourront un peu embellir les heures volées. Vocation, sacerdoce, ambition : ce sont des mots auxquels ils ne songent pas, même avec envie, ils leurs sont totalement étrangers. Et il y a une poignée d’autres. Par chance, par fougue, par volonté, ils entrelacent leur vie à leur travail. Que ce dernier puisse ne pas avoir de sens est une indécence. Ils veulent croire au "métier idéal". Le métier idéal est le titre du spectacle présenté au Théâtre du Rond Point jusqu’au 18 avril. Le comédien Nicolas Bouchaud et le metteur en scène Eric Didry mettent en scène le travail de l’écrivain John Berger et du photographe Jean Mohr qui dans les années soixante avaient suivi le quotidien du docteur John Sassall. Ce médecin britannique ayant choisi d’exercer dans une contrée reculée d’Angleterre leur avait ouvert sans difficulté les portes de son cabinet. John Berger et Jean Mohr avaient alors découvert un homme totalement habité par son métier, semblant "toucher" les malades même lorsqu’il ne se contentait que de les écouter. Avec justesse, Nicolas Bouchaud donne sa voix à ce médecin de campagne et mélange son incarnation avec l’évocation de son expérience personnelle, d’homme souffrant, établissant un parallèle entre deux métiers idéaux, celui de médecin et de comédien, deux conceptions de l’écoute, de la transmission et de l’échange.

Ce que Dieu veut

Mais l’idéal tourne parfois au cauchemar. Jean Pellet s’y plonge dans La Nuit des défaites. Cardiologue au sein du Groupe hospitalier mutualiste de Grenoble, il livre un monologue singulier sur le suicide des médecins. Il parle à ses amis partis sans « laisser de message » et s’interroge sur le rôle joué par ce « métier idéal » dans leurs souffrances et leurs défaites. « Peut-être as-tu voulu nous dire d’arrêter de faire de la médecine, comme ça… Mais d’aucuns diront, bien sûr, c’est facile, que ton départ tonitruant n’a rien avoir avec la médecine ». Cette médecine triomphante, exceptionnelle lorsqu’il s’agir de réparer les cœurs, comme Jean Pellet en fait l’expérience quotidiennement et si impuissante face aux détresses des âmes. « Je pense aux patients d’hier. Ça devrait être le cadet de mes soucis. Les derniers patients. Le dernier. Monsieur M. Dure séance. Il a fibrillé sur la table. On l’a choqué trois fois. Mort, trois fois. Ressuscité d’entre les morts, trois fois. Nous sommes des dieux, un peu. La tentation de se prendre pour des dieux. Tous ces gens auxquels j’ai mis un défibrillateur et qui devraient déjà être morts. Se souviendront-ils de moi ? Un petit choc dans la poitrine, et hop, de presque morts ils sont vivants. On devrait inventer ça pour les coups de blues, pour les accès de désespoir. Désespéré ? Hop ! Un petit choc cérébral », rêve-t-il avec douleur, comprenant que Dieu ne peut être un métier idéal.

Ceux qui aux corps offrent mieux

Jean Pellet empreinte le titre de son livre à une formule d’Henri Michaux « Va jusqu’au bout de tes défaites ». La défaite d’Aldo (interprété par Jérémy Elkaïm) est d’avoir perdu son emploi d’infirmier, un métier qu’il exerçait avec joie. Pour continuer à aider sa fiancée à poursuivre ses études, il va épouser une autre activité : assistant sexuel pour personnes handicapées. Le troisième film de Philippe Brassat, Indésirables , tourné avec des comédiens réellement handicapés, traite avec douceur et légèreté de l’accompagnement sexuel des personnes atteintes de handicaps. Ni pamphlet, ni comédie romantique, le film promène son étrangeté en laissant découvrir une société idéale où la vision du handicap serait profondément différente.

Ce que femme veut

Elles ne sont pas handicapées. Mais être une femme peut parfois représenter un obstacle, dans certaines sphères, certaines carrières. Les héroïnes de l’exposition  Les découvreuses anonymes  n’ont pourtant jamais voulu renoncer à ce qu’elles pressentaient être pour elles un "métier idéal". Toutes les affiches très esthétiques présentées lors de cette exposition, chacune consacrée à une scientifique talentueuse (de Rosalind Franklin à Jeanne Villepreux-Power en passant par Stéphanie Kwolek), témoignent de cette même volonté et de cet attachement à un idéal de soi, un idéal de vie.

Théâtre : Un métier idéal, de et avec Nicolas Bouchaud d’après le livre de John Berger, Jean Mohr mise en scène Éric Didry, Théâtre du Rond Point/Carreau du Temple, jusqu’au 18 avril,  2bis avenue Franklin D. Roosevelt 75008 Paris

Livre : La Nuit des défaites , de Jean Pellet, édition Bayard, 199 pages, 17 euros

Cinéma : Indésirables, de Philippe Brassat, sortie le 18 mars, 1h36

Exposition :  Les découvreuses anonymes, LABO13 de la Maison des initiatives étudiantes de Paris, jusqu’au 15 avril, 15 rue Jean-Antoine de Baif 75013

Aurélie Haroche

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Vos réactions (1)

  • Au service des autres

    Le 11 avril 2015

    Merci pour cet article, qui nous redonne courage, les jours où cela nous semble plus difficile.
    Je vous signale aussi la parution du livre "Accompagner en hôpital - Oser la rencontre" aux éditions La Chronique Sociale, écrit par une équipe du CHU de Grenoble.

    Dr Philippe Arvers

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