
Paris, le samedi 18 janvier 2015 – On devine aisément qu’à ceux-là il ne faut pas parler de « courage ». Sans doute essuieraient-ils le mot avec bravade ou avec humour. L’idée de "courage" sous-tend trop en notre époque formidable l’idée d’une acceptation, d’une abnégation. Et nos héros du jour ne suivent pas cette ligne. Ils ont juste décidé que ce qu’ils sont ne changerait pas à cause de ce qu’ils sont devenus, par hasard, sans le vouloir. Des handicapés. Des malades. Marc, personnage principal interprété par Albert Dupontel, du nouveau film de Denis Dercourt En équilibre, sorti sur les écrans cette semaine, est cavalier. C’est ainsi et on n’y peut rien changer. « On ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie » lui assène pourtant comme une évidence la représentante de l’assurance (Cécile de France) venue lui annoncer qu’en raison des risques qu’il a toujours pris et qui ont probablement causé sa chute de cheval qui l’a définitivement cloué dans un fauteuil, il ne bénéficierait pas des aides espérées. Marc va pourtant, avec une certaine simplicité, lui prouver que si l’on est cavalier, on le reste, en dépit de l’inertie de ses jambes et de muscles endormis.
Délire d’enfant
De même, Charlotte Vilmorin n’est pas handicapée. D’ailleurs dans son très beau récit publié aux Editions Grasset Ne dites pas à ma mère que je suis handicapée, elle me croit trapéziste dans un cirque, on ne connaîtra jamais la nature de son handicap, ni son origine exacte (tout au plus sait-on qu’elle se déplace en fauteuil roulant). Après tout, toutes les épreuves que l’enfant doit traverser ne sont peut-être destinées qu’à lui permettre d’atteindre son rêve : devenir trapéziste. Cette autobiographie n’est pourtant pas celle d’un déni, d’un refus, d’une rupture. C’est celle d’un regard tranquille sur sa condition : « On n’est pas handicapé dans l’absolu, mais dans ces petits moments où ça coince et où on est bloqué » explique Charlotte Vilmorin, qui rapporte notamment dans son livre quelques anecdotes cocasses sur l’inaccessibilité des taxis, qui l’ont conduite aujourd’hui à devenir la responsable de la seule entreprise en France proposant la location de voitures destinées aux conducteurs et passagers handicapés.
De lire enfant
Il est pourtant des accidents, des désastres de l’existence qui semblent échapper à la force de la volonté, au désir d’être plus que sa pathologie. La maladie de Charcot semble être une de ces prisons indépassables. Dans La Grande Santé, Frédéric Badré, biographe et essayiste raconte le diagnostic de sa maladie et ses évolutions. Il revient sur la perte des mots, l’impossibilité de continuer à jouer de la guitare, les objets qui ne lui répondent plus. Et pourtant, ces objets, ces nouvelles technologies vont lui permettre de ne pas devenir un unique objet de soins, un corps seulement malade, une âme brisée. Elles constituent des milliers "d’antidotes" face à la maladie – elles et la littérature, apprivoisée dès l’enfance. C’est elle La Grande Santé. Ainsi, avec humour, se dessine une maladie qui n’est pas appréhendée comme l’unique point d’horizon de l’existence, mais comme un obstacle du quotidien, avec lequel il faut apprendre à composer, à faire "bon usage", pour être ce que l’on veut. Encore.
Cinéma :
En équilibre, de Denis Dercourt, sortie le 15 avril,
1h30
Livre :
Ne dites pas à ma mère que je suis handicapée, elle me croit
trapéziste dans un cirque , Charlotte Vilmorin, Grasset,
208 pages, 16 euros
La Grande Santé, de Frédéric Badré, Seuil, 200 pages, 17,50 euros
Aurélie Haroche