Souriez, vous êtes prélevés

Paris, le samedi 25 avril 2015 – Le projet de loi de santé ne devait pas initialement s’intéresser à la question du prélèvement d’organes. Mais le député Jean-Louis Touraine, également professeur de médecine, a souhaité enrichir le texte en déposant un amendement visant à revenir à l’esprit initial de la loi d’Henri Cavaillet sur le don d’organe, affirmant que toute personne est présumée donneur d’organes. L’objectif de Jean-Louis Touraine est d’éviter que par méconnaissance parfaite de la position du défunt, des familles, dans un moment très difficile préfère refuser le prélèvement des organes d’un proche. Aujourd’hui, le rôle accordé à l’entourage dans la détermination du choix du sujet qui vient de mourir pourrait favoriser des réponses négatives, quand tous les sondages d’opinion assurent que la grande majorité des Français (autour de 80 %) sont favorables au don de leurs organes. Le texte finalement adopté le 10 avril par les députés s’éloigne un peu de la version initiale : rappelant qu’une concertation devra être menée avant son entrée en vigueur (deux ans après l’adoption de la loi), il prévoit par ailleurs que le refus du don d’organe devra pouvoir s’exprimer par d’autres façons que la seule inscription au registre des refus (modalités qui seront précisées par un décret). Pour les auteurs de l’amendement initial et leur soutien, cette restriction en a largement amoindri la portée. Mais pour ceux qui s’inquiètent de cette évolution, l’amendement demeure très critiquable. La lecture de la blogosphère permet de découvrir les échanges, parfois musclés.

Présomption de générosité

Le député et cancérologue Michèle Delaunay, qui a participé à la rédaction de l’amendement défendu par Jean-Louis Touraine, compte, nécessairement, parmi les premiers défenseurs d’une "systématisation" du prélèvement d’organe. Michèle Delaunay revient notamment sur l’impossibilité pour les familles de répondre de manière apaisée à la question qui leur est posée dans un moment très difficile. « Cette demande aux familles après un décès brutal est extrêmement douloureuse et la réponse ne peut être sereine. Elle alourdit encore le deuil. Par précaution ou par crainte du geste, les proches répondent ainsi trop souvent par la négative. Ils ne savent pas ce que le défunt aurait dit et préfèrent donc s’abstenir » écrit l’ancien ministre délégué aux Personnes âgées. Rappelant l’adhésion au don d’organe de l’ensemble des religions (ce que certains spécialistes de la loi islamique contestent) et le soutien apporté à l’amendement par plusieurs associations, elle regrette qu’en séance, le texte ait été modifié par « un sous amendement du Gouvernement. Le voici affadi et dépourvu de la force que lui donne son sens profond : la présomption de générosité qu’on doit accorder à chacun ».

Vider de ses organes

Dans son texte, Michèle Delaunay se fait fort de rappeler qu’elle et Jean-Louis Touraine sont « médecins hospitaliers » et qu’à cet égard ils peuvent « rassurer sur les conditions de prélèvement ». « Seule sera visible une cicatrice » assure-t-elle.

C’est pourtant une présentation différente qui est dessinée par des praticiens qui eux aussi peuvent (et peut-être même plus !) brandir leur expérience du terrain. Sur le blog d’internes en médecine Souriez vous êtes soignés, un récent post très hostile à l’amendement a récemment été publié. On est loin ici de l’infime cicatrice : « Comment imaginer vider quelqu’un de ses organes sans consulter ses proches, ceux qui seront marqués à vie par la perte de la personne qu’ils aiment ? » écrit en introduction l’un des auteurs du blog. Le ton est donné : ces jeunes médecins refusent que soit faite l’économie d’une véritable discussion avec les familles, afin de recueillir le sentiment du défunt mais aussi celui de leur proche. Les auteurs du blog Souriez vous êtes soignez sont loin de considérer qu’il faille libérer les familles d’une décision trop pénible. « Même si les familles peuvent être amenées à changer d’avis alors qu’il est trop tard, il me semble plus facile de regretter une décision que l’on a prise soi-même (dans un moment de grande détresse, c’est pardonnable) plutôt que d’accepter un geste imposé par des personnes qui ne connaissaient pas le défunt » peut-on lire sur le blog. Sur ce point, Michèle Delaunay pourrait avoir une vision assez différente : elle relate en effet dans une interview accordée au site Egora qu’une de ses collègues député et médecin a perdu un fils il y a une quinzaine d’années et a refusé le prélèvement de ses organes. Un refus qu’elle ne s’expliquerait toujours pas et qu’elle regretterait encore.

Un acte impossible pour les médecins

Si les conséquences du choix des familles sur leur deuil  sont difficiles à apprécier, pour l’auteur du blog Souriez vous êtes soignés, il ne fait aucun doute que cette loi représentera une difficulté supplémentaire pour les médecins. « La nouvelle loi me paraît inapplicable car ce n’est pas éthique pour un médecin d’opérer un patient contre l’avis de ses proches en deuil ». La position de ce jeune praticien rejoint sans nuance celle du professeur Bruno Riou responsable de la coordination des prélèvements d’organes qui fin mars dans le Monde s’insurgeait « C’est inapplicable et contre productif. On ne peut pas rendre le prélèvement obligatoire car on n’ira jamais contre la volonté d’une famille totalement opposée » assure-t-il.

La fin et les moyens

Il semble que se joue une nouvelle fois ici une manifestation de la rupture entre les décideurs (même ceux qui rappellent qu’ils sont ou ont été praticien hospitalier) et les acteurs du terrain, ceux qui chaque jour sont auprès des malades et de leurs proches. Le texte devrait sans doute alimenter encore de nombreux débats, sur les blogs et ailleurs. Pour le médecin et journaliste Jean-Yves Nau qui suit quotidiennement l’actualité et qui ne prend pas systématiquement parti, il est clair qu’il s’agit de « l’une des dispositions qui pourrait avoir de redoutables conséquences et ruiner l’objectif visé. L’une des dispositions (…) qui pose ouvertement dans notre espace démocratique la question de la justification de la fin et des moyens et celle de la patrimonialité du corps des défunts ».

Pour participer à cette réflexion éthique, vous pouvez découvrir les blogs de :
Michèle Delaunay : http://www.michele-delaunay.net/delaunay/blog/don-dorganes-18-000-vies-peuvent-etre-sauvees
Souriez vous êtes soignés : http://blog.francetvinfo.fr/medecine/2015/04/14/prelevement-dorganes-que-les-familles-restent-consultees.html
Et Jean-Yves Nau : http://jeanyvesnau.com/2015/04/11/prelevements-dorganes-les-proches-des-defunts-ne-seront-plus-consultes-mais-simplement-informes/

Aurélie Haroche

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions (7)

  • Je ne serais plus donneur

    Le 25 avril 2015

    Avant j'étais tout naturellement donneur ! Mais ça c'était avant, car avec cette loi liberticide et Mme Touraine dorénavant ça sera non ! Maintenant je ne serais plus donneur car il est insupportable pour moi que d'autres que moi décident de ce que je peux ou pas donner de mon corps !

    Gilles Dupont

  • Je ne serais plus donneur

    Le 26 avril 2015

    L'ensemble de ma famille s'est fait prélever sans consentement alliances et dents en or à la sortie des chambres à gaz d'Auschwitz. Et cette loi réveille en moi des réminiscences. Je vais dès demain imprimer 7021 formulaires de refus que je vais distribuer aux 7021 patients de mon fichier. Et un 7022 ème pour moi.
    Dr François Gross

  • Souriez vous êtes saignés

    Le 26 avril 2015

    Je propose de completer la loi Touraine Delaunay par un amendement autorisant le kidnapping de rue en vue du prélèvement de produits sanguins (puisque la générosité du quidam est présumée pourquoi se priver ?).

    Dr François Gross

Voir toutes les réactions (7)

Réagir à cet article