Les rapports entre durée, qualité du sommeil et troubles cognitifs sont bien établis sur le plan épidémiologique. La somnolence diurne excessive pourrait aussi être un marqueur précoce de lésions cérébrales à risque de déclin cognitif. Quant au mécanisme en cause, il est encore loin d’être établi formellement. On sait cependant que le risque d’avoir des plaques amyloïdes est multiplié par un facteur 5,6 en cas de mauvaise efficacité du sommeil, et indépendamment de la quantité de sommeil.
On sait par ailleurs que des troubles du sommeil existent dans la maladie d’Alzheimer. Précoces et fréquents (25 à 40 %), ils se manifestent selon de nombreux phénotypes: mauvaise continuité du sommeil de nuit, changements d’architecture du sommeil, somnolence diurne excessive, troubles du rythme circadien, troubles du comportement en soirée (sundowning syndrome ou syndrome crépusculaire), syndrome des apnées du sommeil ou encore syndrome des jambes sans repos… Tous ces troubles sont généralement présents dès la phase préclinique de la maladie d’Alzheimer, ce qui a posé la question de l’impact du sommeil sur la maladie.
Chez les souris (animaux nocturnes), le taux de fabrication du peptide Aβ est plus élevé pendant la nuit (lorsque les souris sont actives), que pendant le jour. Chez l’homme, la sécrétion de ce peptide est plus importante durant le jour. Chez les souris atteintes de l’équivalent de la maladie d’Alzheimer, la production de plaques amyloïdes augmente en cas de privation chronique de sommeil.
Quel pourrait être le facteur métabolique provoquant la fluctuation diurne des niveaux d’Aβ ? Un candidat se dessine: l’orexine (l’autre nom de l’hypocrétine), une protéine connue pour réguler l’éveil, et impliquée dans les troubles du sommeil tels que la narcolepsie. Il a été montré que l’injection d’orexine augmente les taux d’amyloïde bêta et celle d’un antagoniste en réduit les taux tout en diminuant la formation de plaques, ce qui soutient l’hypothèse d’une influence du sommeil et de l’orexine dans la pathogénie de l’Alzheimer.
Pour expliquer ce fait, les experts rappellent que le sommeil modifie les espaces cérébraux extracellulaires et permet ainsi l’élimination des toxiques et métabolites accumulés (dont la protéine amyloïde ?). Dernier point: il existe un parallélisme entre dysrégulation du système orexinergique, altérations du sommeil et déclin cognitif dans la maladie d’Alzheimer.
Toutes ces données semblent confirmer le fait que l’orexine soit un des chainons majeurs expliquant le fait que les troubles du sommeil engendrent des anomalies de clairance de la protéine amyloïde bêta et de la protéine tau avec augmentation de l’inflammation et de la neurodégénérescence, ainsi que de l’hypoxie qui mènent à la démence.
Dr Dominique-Jean Bouilliez