La mort est son métier

Paris, le samedi 2 mai 2015 – Et à la fin, on meurt. Mais ça, nos sociétés contemporaines, qui sont parvenues grâce à la médecine à repousser ce moment inéluctable, ne veulent pas s’en souvenir. La mort est devenue impudique. Et aujourd’hui, les rituels qui entourent le décès semblent avoir pour premier objectif d’effacer le plus possible la réalité du trépas. « L’industrie funéraire a développé des tactiques pour tenir les familles à distance, soi-disant pour les protéger. Résultat les gens sont totalement démunis face aux entrepreneurs funéraires qui, de leur côté, ont tout intérêt au statu quo. On est arrivé à une situation de déni total de la mort, sans précédent dans l’histoire des civilisations » analyse Caitlin Doughty interviewée par Libération.

Beauté fatale

Les employés des entreprises de pompes funèbres comptent probablement parmi les personnes que l’on souhaite le moins rencontrer dans sa vie. Pourtant, Caitlin Doughty pourrait faire exception. En la voyant vous expliquer les soins de thanatopraxie, la récupération des cendres après une crémation ou les techniques de maquillage des visages, on pourrait se surprendre à penser que notre regretté grand-père aurait sans doute apprécié de rencontrer Caitlin avant d’être le sujet de ces conversations. Gironde et pétillante, en rien macabre, Caitlin Doughty détonne en tant que représentante de pompes funèbres. Pourtant Caitlin Doughty aime son métier.

Souvenir mortel

Si l’on s’en tient à ses études en histoire médiévale, Caitlin Doughty n’était peut être pas prédestinée à une telle voie. Pourtant, après la rédaction de sa thèse sur le sexe démoniaque dans l’imagniaire de la sorcellerie au XVe siècle (programme mortel s’il en est !) elle ne va pas tenter de postuler pour devenir historienne. Elle envoie son CV à de nombreuses entreprises de pompes funèbres californiennes. Après avoir essuyé plusieurs refus, elle est embauchée par une petite société dédiée à l’incinération. Là, Caitlin Doughty va enfin se libérer du tourment qui la poursuivait depuis l’âge de huit ans. Depuis ce jour où elle assiste, médusée, au fracassement d’une enfant de dix ans, tombée accidentellement d’une rambarde dans un centre commercial. « J’ai tout à coup pris conscience de la mort, de sa soudaineté. Enfant, je n’avais pas été préparée à ça » confie-t-elle à Libération. S’en suivront plusieurs années d’angoisse et d’inquiétude. Avant cette confrontation quotidienne avec la mort, salvatrice.

Ne plus dire à mort la mort

Très vite, une certitude s’impose à Caitlin Doughty : il faut offrir aux morts la même tendresse, la même sollicitude qu’aux vivants. Les soigner avec la même bienveillance qu’un médecin pour ses malades. Elle est convaincue que cette réappropriation du corps du défunt peut offrir un soulagement aux endeuillés. Elle s’inquiète de la « culture du déni de la mort » qui règne dans notre société et donne quelques exemples glaçants dans son livre Chronique de mon crématorium qui vient d’être traduit en français. Elle se souvient par exemple d’une petite fille morte à l’âge de neuf ans, dont les parents n’avaient pas souhaité assister à la crémation et qui avaient reçu à leur demande quelques temps plus tard les cendres de leur enfant. « Penser qu’une petite fille de neuf ans peut comme par magie se transformer en une boîte de restes bien nette et bien propre, c’est d’un obscurantisme qui fait honte à notre culture ».

Viva la muerte ?

Pour partager ses idées (ce que tous ne feront pas !), Caitlin Doughty a fondé un groupe de réflexion "The Ordrer of the good death"  (L’ordre de la bonne mort). Il ne s’agit pas ici de "mourir dans la dignité", mais d’être mort dans la dignité. Ici il s’agit d’interroger le sens des rites funéraires, en s’intéressant par exemple à des traditions historiques ou aux coutumes d’autres pays et régions. Il s’agit de redonner sa place à la mort.
Caitlin Doughty qui à 32 ans ouvrira prochainement sa propre entreprise de pompes funèbres rencontre un très important succès, notamment à travers ses vidéos postées sur You Tube qui se proposent de répondre aux questions les plus loufoques sur la mort et ses oripeaux.

Succès paradoxal à l'époque du déni de la mort.

Aurélie Haroche

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