
Paris, le lundi 4 mai 2015 – Evidemment, les fleuristes pourraient plébisciter cette mesure. Ils se trouveraient en effet moins facilement concurrencer par les cavistes. Difficile de brandir fièrement à la maîtresse de maison une bouteille de Bordeaux ou de Whisky si l’étiquette en était barrée d’une photo montrant le visage horriblement abimé d’un accidenté de la route, le foie déformé d’un alcoolique ou encore les blessures d’une femme battue. Aujourd’hui, à l’exception d’un petit pictogramme rappelant la dangerosité de la consommation d’alcool pendant la grossesse (pictogramme qu’il faut savoir repérer) les méfais de l’alcool sur la santé ne sont pas rappelés sur les bouteilles de bière, whisky, et autres vins. Pourtant, l’idée d’imposer des messages d’avertissement (écrits) fleurit depuis quelques années. Le commissaire européen à la Santé, Tonio Borg, s’est ainsi exprimé en faveur d’une telle législation au sein de l’Union européenne il y a quelques mois. L’année dernière également, des députés britanniques rendaient un rapport sur la publicité concernant l’alcool et défendaient l’idée d’apposer des messages sanitaires, à l’instar de ce qui existe sur les paquets de cigarette. Tracey Couch, l’élue à l’origine de cette proposition, plébiscitait cependant plutôt des avertissements écrits. « Nous voulons aider à développer une culture systématique de la responsabilité, et non choquer les gens » avait-elle indiqué au Guardian. D’autres en Grande-Bretagne, s’alarmant de l’importante consommation d’alcool au sein du Royaume, n’ont pas eu cette réserve. Au printemps 2013, l’Alcohol Health Alliance comptant soixante dix médecins préconisait l’apposition d’avertissements "percutants" sur une grande partie des bouteilles d’alcool, y compris à l’aide de photographies. Sa proposition n’avait cependant pas été retenue par le gouvernement britannique, qui avait notamment signalé qu’à la différence du tabac, la consommation de boissons alcoolisées n’est pas dangereuse en soi pour la santé.
Sondage réalisé du 26 mars au 8 avril
65 % hostiles à des bouteilles d’alcool revisitées
Cette position semble également partagée par les professionnels de santé auxquels nous avons soumis cette suggestion nullement dans l’air du temps (il a été récemment décidée en France de ne rien changer à la loi Evin et notamment pas de la durcir). Ainsi, une large majorité de nos lecteurs (65 %) se déclarent défavorables à l’instauration de bouteilles d’alcool "neutres" avec avertissement sanitaire en images. On ne compte donc que 32 % de médecins, infirmières et pharmaciens qui estiment que la dangerosité de l’alcool est telle qu’elle mériterait un dispositif de prévention du même ordre que celui existant pour les cigarettes. Par ailleurs, au sein de cette minorité, ils ne sont que 21 % à défendre qu’un tel système devrait être mis en place pour tous les alcools, tandis que 10 % jugent qu’il devrait s’appliquer uniquement pour les boissons aux degrés les plus élevés (plus de 40°). On notera la très faible proportion de répondeurs estimant que les alcools de plus de 10° devraient être l’objet d’une telle réglementation (ce qui conduirait à n’en exclure que la bière et le cidre). Des chiffres qui pourraient également faire s’interroger sur la cohérence des réponses (et des questions ?) et qui pourraient faire penser que certains n’ont pas seulement envisagé que le vin puisse être concerné par ces mesures.
Tolérance
S’il ne faut pas exclure que des opposants à ces bouteilles "neutres" fondent leur hostilité dans la constatation de l’inefficacité de ce dispositif pour le tabac (nos précédents sondages sur le paquet neutre ont montré qu’ils ne font guère l’unanimité) ou s’interrogent sur sa possible adaptation au marché de l’alcool, les résultats de ce sondage (délibérément provocateur) confirment cependant l’existence d’une tolérance vis-à-vis de l’alcool qui ne s’explique sans doute pas de façon objective par sa dangerosité réelle, comparée à d’autres substances face auxquelles la sévérité, voire la répression, sont considérées comme totalement nécessaires.
Aurélie Haroche