
L’obésité, via l’insulino-résistance induite, est un facteur de risque bien connu de diabète sucré de type 2 (DNI2). Selon la World Health Organization, on a pu estimer en 2005 à 1,6 milliard le nombre d’adultes en surpoids dans le monde, dont 400 millions d’obèses. Une projection, pour 2015, avance respectivement 2,3 milliards et 700 millions d'individus. L’association obésité et élévation du risque de maladies cardiovasculaires (MCV) est également bien établie. Toutefois, après survenue d’une MCV, l’obésité semble, de façon paradoxale, conférer un avantage en matière de survie, phénomène dénommé le « paradoxe obésité », qui pourrait perdurer, même après l’apparition du DNI2. Cependant, les données à ce propos sont contradictoires, tenant à des problèmes de sélection de population, à des études de puissance statistique insuffisante ou à la non prise en compte de l’âge des participants ou de leurs comorbidités.
Une cohorte monocentrique de plus de dix mille patients
Une vaste étude monocentrique a été menée par P Costanzo et collaborateurs afin de préciser au mieux les relations entre obésité, MCV et mortalité. Ils ont suivi prospectivement une large cohorte de diabétiques de type 2 entre 1995 et 2005. L’immense majorité des participants étaient indemnes de toute MCV (coronaropathie, maladie cérébro- vasculaire, défaillance cardiaque ou artériopathie périphérique). Pour chacun ont été notés, au départ, âge, durée du DNI2, tabagisme éventuel, poids, taille, pression artérielle ainsi que les principales comorbidités. Le suivi a été assuré jusqu’en Décembre 2011. Le critère principal était la mortalité globale, évaluée à partir d’un registre national. Le nombre d’hospitalisations pour syndrome coronarien aigu (SCA), accident vasculaire cérébral (AVC) et défaillance cardiaque (IC) étaient les critères secondaires. Ont été exclus de la cohorte les patients avec bronchopathie, cancer ou insuffisance rénale chronique, dont le risque de mortalité était plus élevé ainsi que les malades décédés durant les 2 premières années de suivi, potentiellement porteurs d’une maladie grave sous jacente avec perte de poids éventuelle.
Risque cardiovasculaire plus élevé en cas de surpoids mais mortalité plus faible
La cohorte monocentrique a inclus, in fine, 10 568 participants, dont 54 % d’hommes, d’âge médian 63 ans (intervalle interquartile, IQR : 55- 71 ans). Ils ont été suivis en moyenne 10,6 ans (IQR : 7,8- 13,4 ans). L’indice de masse corporel (IMC) médian était, à l’entrée de 39 kg/m2 (IQR: 26,0- 32,0 kg/m2). En cours d’étude ont été dénombrés 912 SCA (9 %), 760 AVC (7 %) et 598 IC (6 %). Il y a eu 3 728 décès (35 %). Globalement, il y a eu plus de SCA ou d'IC chez les sujets en surpoids ou obèses, dont l’IMC était > 25 kg/m2, comparativement aux sujets dont l’IMC était compris entre 18,5 et 24,9 kg/m2, notamment chez les plus jeunes de moins de 57 ans. Le risque d’AVC est apparu plus élevé chez les seuls obèses (IMC entre 30 et 34,9 kg/m2), âgés de 57 à 67 ans. L’incidence de l'IC a été, pour sa part, plus élevée en cas d’obésité, dans toutes les tranches d’âge étudiées. De façon paradoxale, cette augmentation du risque CV en cas de surpoids ou de franche obésité ne s’accompagne pas d’un risque accru de mortalité. Bien au contraire, comparativement aux sujets avec IMC normal, les sujets en surpoids ont eu une réduction du risque de mortalité et il n’a été constaté aucune sur-mortalité chez les obèses. Ce sont les sujets avec le poids le plus faible qui ont eu le plus mauvais pronostic. En analyse logistique, cette réduction est la plus nette autour de 60 ans. La prise en compte, dans le calcul, de la surface corporelle au lieu de l’IMC ne modifie pas les résultats d’ensemble. Il en va de même pour différentes durées de suivi : 2, 5 ou 10 ans et aussi après inclusion on non des patients porteurs de pathologie grave, témoignant par là même que les différences de mortalité globale observées en fonction de l’IMC n’étaient pas liées à une maladie grave sous jacente.
L’IMC idéal : 25,0 à 29,9 kg/m2
Ainsi ressort- il de ce travail que la présence d’un surpoids ou d’une obésité en cas de DNI2 est associée à un risque majoré de survenue d’événements pathologiques CV non létaux mais ne s’accompagne pas d’une surmortalité par rapport à des sujets de poids normal. Bien au contraire, la survie est meilleure en cas d’IMC compris entre 25,0 et 29,9 kg/m2 en comparaison d’un IMC « normal » entre 18,5 et 24,9 kg/m2 et ce sont ceux avec l’IMC le plus bas qui ont le risque de mortalité le plus élevé. Dans la littérature, 16 études se sont intéressées à la relation entre obésité (en pratique un IMC élevé) et la mortalité chez les diabétiques de type 2. Les résultats d’ensemble ont été peu probants et contradictoires. Neuf d’entre elles ont retrouvé une classique courbe en U en fonction de l’IMC, avec augmentation du risque de décès chez les obèses. Quatre autres ont conclu, à l’inverse, à une réduction de la mortalité en cas de surpoids ou d’obésité. Les autres n’ont pu déceler de relation particulière. Ces discordances sont expliquées par le fait que nombre d’études n’avaient pas une puissance suffisante avec moins de 1 000 participants enrôlés, qu’elles étaient souvent rétrospectives, sans prendre en compte les comorbidités, voire sans séparation franche entre les sujets de poids normal et ceux avec un IMC trop faible. Par opposition, le travail de P Costanzo a plusieurs points forts. Son échantillon était conséquent ; le suivi très prolongé ; il y a eu la prise en compte effective des associations pathologiques, du tabagisme ou des chiffres de pression artérielle systolique. De plus, il était mono centrique, limitant ainsi l’hétérogénéité du recueil des données.
Cette étude suggère que le DNI2 induit par le stress métabolique de l’obésité pourrait être fondamentalement distinct du diabète sans surpoids ou obésité, avec, dans ce cas, un risque accru. D’autres hypothèses peuvent être avancées pour tenter d’expliquer ce « paradoxe obésité ». Les patients diabétiques avec un IMC plus bas peuvent présenter d’avantage d’intoxication alcoolique ou tabagique, rendant compte d’un poids plus faible et d’un pronostic plus réservé. Il est aussi possible que le diabète soit diagnostiqué plus précocement chez les obèses, d’où une meilleure prise en charge. Les limites de ce travail tiennent à l’utilisation de l’IMC comme marqueur d’obésité, d’autres mesures ayant pu être proposées telles que la mesure de la taille, le rapport taille/hanche ou encore la surface corporelle. De plus, aucune information n’a été recueillie sur la forme physique des participants durant l’étude, ni sur les causes propres de décès, CV ou autre.
Au total, chez les diabétiques de type 2, un surpoids ou une obésité augmente le risque d’événements pathologiques CV non létaux mais, de façon paradoxale, tend à abaisser le risque de mortalité. L’IMC « idéal » pourrait se situer entre 25 et 29,9 kg/m2 et non vers l’IMC « normal », entre 18,5 et 24,9 kg/m2. Ce « paradoxe obésité » doit conduire à de nouveaux travaux de recherche mais, en aucun cas, décourager les patients diabétiques en surpoids de s’efforcer de modifier leur style de vie.
Dr Pierre Margent