
Paris, le mercredi 24 juin 2015 – S’il n’était pas connu pour son optimisme chevronné, le chef de l’Etat pourrait légitimement se demander s’il n’est pas touché par une forme de malédiction. Le « consensus » lui semble (à l’exception peut-être des lendemains d’attentat) totalement interdit. Sur l’accompagnement de la fin de vie, François Hollande s’était toujours montré ambigu. Se refusant à utiliser le terme « d’euthanasie », il avait cependant martelé à plusieurs reprises lors de la campagne électorale son souhait de voir instaurer un « droit de mourir dans la dignité ». Finalement, un texte de loi est proposé. Il paraît le fruit parfait du consensus : porté par un député de gauche et un député de droite, il évite les évolutions qui contrarient en n’envisageant ni l’autorisation de l’euthanasie, ni celle du suicide assisté. Cependant, on suggére de créer de « nouveaux droits » pour les personnes en fin de vie et notamment le droit à la sédation profonde (chez les patients en faisant la demande), tandis qu’est préconisé de renforcer le caractère contraignant des directives anticipées. Autant d’évolutions législatives qui doivent surtout permettre de clarifier plus sereinement certaines situations auxquelles ne répondait pas parfaitement à la loi Leonetti. L’absence de caractère révolutionnaire et l’adhésion des professionnels de santé paraissaient gages de succès : un beau moment d’union républicaine pouvait être espéré.
Pourtant, déjà à l’Assemblée, les débats n’ont pas donné l’image d’un parfait consensus. Les partisans d’une légalisation à l’euthanasie ont manifesté clairement leur volonté d’une législation différente, tandis que certains se sont interrogés sur les risques de dérives que porterait en germe le nouveau texte. Cependant, en première lecture au Palais Bourbon, une très large majorité adopta le texte (par 436 voix pour et 34 voix contre).
Beaucoup voulaient croire l’histoire écrite et imaginaient une issue similaire au Sénat. Cependant, la machine s’emballa lors de l’examen du texte les 16 et 17 juin. Une minorité de sénateurs Républicains s’employa à totalement « détricoter » le texte. Dominique de Legge fit ainsi adopté un amendement modifiant clairement la portée du droit à la sédation profonde, supprimant la notion de « continue jusqu’au décès ». Pour le sénateur de droite, il s’agissait d’éviter « un cheval de Troie de l’euthanasie ». L’idée qui n’était initialement approuvée que par une partie des députés de droite, finit par gagner plus largement, tandis que la mise en œuvre d’un scrutin public qui permet de voter pour les absents de chaque groupe emporta la « victoire » des opposants à la version initiale du texte. Le caractère contraignant des directives anticipées fut également profondément amoindri, puisque un amendement fut adopté rappelant le caractère prédominant de la « liberté de prescrire » du médecin. Pour expliquer ces suppressions successives des apports du nouveau texte, Bruno Retailleau, chef du groupe Les Républicains au Sénat expliqua : « Depuis le départ, nous sommes un certain nombre à penser que la loi Leonetti se suffisait à elle-même ». Mais les « revirements » des sénateurs allèrent parfois plus loin, en s’inscrivant en faux contre les interprétations actuelles de la loi Leonetti : ainsi un amendement fut adopté stipulant que l’alimentation et l’hydratation ne sauraient être considérés comme des « soins » dont la perpétuation pourrait être considérée comme de l’acharnement thérapeutique.
C’est donc un texte profondément remanié, n’ayant plus guère aucune similitude avec celui initialement porté par Alain Claeys et Jean Leonetti qui fut présenté au vote solennel des sénateurs hier. La gauche, l’UDI et les écologistes ont appelé à le rejeter. Les Républicains, embarrassés, n’avaient pas donné de consigne de vote. Le projet de loi a finalement été retoqué par 196 voix contre 87. Marisol Touraine, ministre de la Santé, a manifesté son soulagement, tant elle regrettait les multiples modifications portées au texte qui de fait l’avaient vidé de sa « substance » première. Mais la victoire ne peut être qu’amère, d’autant plus qu’on ignore désormais plus que jamais quel sera le sort de ce texte de loi, dont beaucoup pourtant tenaient l’adoption pour acquise.
Aurélie Haroche