
Paris, le samedi 4 juillet 2015 – Heureux les linguistes du XXIème siècle, ils pourront se pencher sur ces néologismes fugaces ou intemporels forgés par internet. Ces mots qui quelques jours auparavant encore auraient passé pour des barbarismes et qui soudain sont à la une de tous les journaux, dans les propos de tous les "observateurs" avertis (ou pas). Ainsi, impossible aujourd’hui d’échapper à "l’ubérisation" (avec ou sans accent ?). Depuis que des chauffeurs de taxi ont crié la semaine dernière leur refus d’un monde où il serait possible de commander un véhicule en deux clics, tout le monde vante (ou redoute) l’ubérisation de la société. Car ce phénomène, qui semble décrire l’emprise de la technologie dans la délivrance de nombreux services, en offrant notamment peut-être un plus grand pouvoir aux consommateurs, est partout. L’ubérisation est également le fléau redouté par les libraires dont les échoppes se vident au profit de la numérisation des ouvrages, l’ubérisation est le poison des hôteliers qui voient leurs parts de marché s’effriter au profit de sites tels qu’AirBnb, l’ubérisation c’est ce monde où les objets connectés, les applications et autres sites de partage prendront le pouvoir.
Dans l’assurance santé, Uber s’appelle Oscar
La santé est-elle menacée par cette ubérisation ? Dans le domaine de l’assurance, un petit nouveau a déjà gagné son surnom d’ "Uber de l’assurance maladie". Il s’agit d’Oscar, nouveau venu aux Etats-Unis. En quelques semaines, il a capté 10 % des parts de marché dans la région de New York et du New Jersey. Il doit cet exploit à une parfaite maîtrise des outils technologiques : son site internet est un exemple de simplicité et de clarté, quand les portails des autres assureurs rivalisent de lourdeur et de complexité. Surtout, il utilise pleinement tous les outils modernes et propose un "nouveau modèle" à ses assurés : il a ainsi récemment défrayé la chronique en donnant gratuitement des bracelets connectés à ses clients, promettant des récompenses à ceux dépassant les 10 000 pas quotidiens ! Enfin, il commence à développer un important réseau de soins… toujours grâce à une intelligente utilisation d’internet.
"Ubérisation" : un autre mot pour "audace" ?
Que l’assurance santé puisse faire l’objet d’une "ubérisation" est une chose, mais la médecine ou la pharmacie, arts nécessitant une implication humaine constante pourraient-elles également se faire supplanter par la technologie ? La question commence à être sur toutes les lèvres. Le Quotidien du pharmacien proposait par exemple cette semaine à ses lecteurs de répondre au sondage pas si iconoclaste : « Redoutez vous une ubérisation de la pharmacie ? ». Deux clics et mon tube d’aspirine est livré chez moi : le cauchemar des officines. Doctes, les observateurs avertis (ou pas) n’ont aucun doute. Philippe Soullier, président de la société Valtus, experte en management de transition (!), analyse sur son blog hébergé par Le Huffington Post : « L'audace, l'agilité et l'adaptabilité sont dorénavant les seules planches de salut des entreprises. D'autant que tous les jours de nouvelles innovations apparaissent, obstruant l'horizon de nombre d'entreprises si elles ne réagissent pas. Que dire par exemple de l'arrivée en France d'un traitement de la presbytie via des exercices quotidiens du cerveau ? Cette invention de la start-up GlassesOff signera-t-elle l'arrêt de mort des lunettes ? L'avenir nous le dira, mais le secteur de l'optique devrait avoir à l'œil cette nouvelle technologie et se tenir prêt à rebondir ! Des innovations prometteuses, les chercheurs et les entrepreneurs en inventent tous les jours : exercices de la langue et de la bouche pour réduire les ronflements et leur puissance, traitement du cancer par une protéine, tissus intelligents et/ou connectés, arbres fluorescents, vaccins sans seringue... La liste est longue et il est certain que le secteur de la santé et du bien-être feront partie des domaines les plus impactés dans les prochaines années ».
Les médecins menacés comme les autres
Diable, on ne peut tout de même croire en une "ubérisation des médecins" ? Pour le Nouvel Observateur, Olivier Ezratty, conseil en stratégies de l’innovation, confirme : « Evidemment, les métiers professionnels - comme dans la santé - ne peuvent pas être remplacés par des particuliers, mais ils peuvent voir émerger des intermédiaires ». Ainsi, les médecins « risquent d’être "uberisés" à plusieurs titres : par l’émergence d’intermédiaires sur internet et par la numérisation d'une partie de leur valeur ajoutée dans des objets connectés et des logiciels » prophétise-t-il. Et Olivier Ezratty de citer les sites de prise de rendez-vous en ligne, mais également les objets connectés d’auto mesure, voir les logiciels de "diagnostic", tels ceux développés par IBM. L’ubérisation de la médecine ?
Il ne manquait plus que ça, jugeront beaucoup.
Aurélie Haroche