
Paris, le samedi 25 juin 2015 - Le 5 mai 2015, la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des Médecins se penchait sur les propos tenus par le Docteur Giroud (aujourd’hui à la retraite), avec en toile de fond, des tensions entre le SAMU-Urgences de France et SOS Médecin. Un rappel des faits s’impose : en 2011, le Docteur Giroud, patron de Samu-Urgences de France, décide de procéder à une enquête « interne » auprès de différents services destinée à une réflexion sur une éventuelle révision des conventions liant les SAMU et SOS Médecins.
L’enquête comportait une question qui alimenta quelque peu la
polémique sur les liens entre SAMU et SOS Médecins : «
rencontrez-vous des difficultés pour garantir une réponse dans
tous les cas, y compris pour les patients socialement défavorisés
? ».
SAMU-Urgences rendit publics les résultats de l’enquête le 15
décembre 2011, indiquant que 45% des SAMU ayant répondu à l’enquête
avaient répondu positivement à cette question.
C’est alors qu’une agence de presse a relayé les propos suivants, qui auraient été tenus par le Dr Giroud, qui présentait alors les résultats de l’enquête : « cette étude montre qu’il existe une insatisfaction des SAMU sur l’organisation, en particulier au niveau des délais, de la possibilité de joindre le médecin de garde » et (c’est là l’étincelle qui a mis le feu aux poudres) « d’une sélection possible par SOS Médecins des patients les plus favorisés ».
Une plainte fut alors déposée par plusieurs médecins à l’encontre du Dr Giroud devant le Conseil départemental de l’Ordre des Médecins. En première instance, un avertissement fut prononcé par le Conseil départemental.
Le patron de Samu-Urgences de France contestant la décision, a alors saisi la Chambre disciplinaire nationale du Conseil de l’Ordre.
En toutes circonstances, le médecin doit veiller au respect de la considération de sa profession
Pour le Code de la Santé Publique, le principe est clair : « tout médecin doit s’abstenir, même en dehors de l’exercice de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci » (art. R.4127-31).
Pour le Conseil de l’Ordre des Médecins, il faut comprendre de cet article que le médecin ne doit pas porter atteinte à la confiance nécessaire qu’il doit y avoir entre le corps médical et les patients.
Dans ce contexte, il est clair que la liberté de parole du médecin ne peut être que limitée.
Ainsi, pour le Conseil d’Etat, le médecin qui se livre à une critique (il est vrai particulièrement virulente) de la gestion de la Caisse primaire d’assurance maladie, pouvait constituer un manquement porté à la considération de l’ensemble du corps médical, justifiant l’ouverture de poursuites disciplinaires (Conseil d’Etat, 25 octobre 2004).
Afin de maintenir cette considération, les médecins doivent, entre eux, « entretenir des rapports de bonne confraternité » (R.4127-56 du Code de la Santé Publique), ce qui interdit de fait le dénigrement où la critique publique des confrères… Toutefois, dans quelle mesure ces principes sont conciliables avec l’exercice d’autres libertés ?
Un principe conciliable avec la liberté d’expression ?
Dans notre affaire, le Dr. Giroud. disposait d’une double casquette, celle de directeur d’une organisation professionnelle d’une part et de praticien d’autre part. Dès lors, la question suivante méritait de se poser : est-il possible de distinguer le médecin du responsable du SAMU ?
Pour le Conseil d’Etat, les articles R.4127-31 et R.4127-56 du Code de la Santé Publique doivent être interprétés de manière à préserver l’exercice des autres libertés fondamentales, et notamment de la liberté d’expression et du droit syndical.
Ainsi, pour la Haute Juridiction, le médecin appelant à voter pour une liste, dans le contexte d’une élection au Conseil de l’Ordre, en ne formulant aucune imputation de faits précis mettant en cause l’honneur d’un confrère, ne commet aucun manquement déontologique (Conseil d’Etat, 28 avril 2003). Il est vrai toutefois que dans ce cas, les tracts distribués n’avaient aucune vocation à une diffusion à un large public, justifiant ainsi l’absence de sanction.
Dans notre affaire, le caractère public de la déclaration (telle que relayée par la presse) explique sans doute la condamnation du Dr. Giroud par le Conseil de l’Ordre.
Une sanction confirmée par le Conseil National de l’Ordre
La Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des Médecins vient finalement confirmer la décision prise en première instance, à savoir le prononcé d’un simple avertissement.
Pour la Chambre, le simple fait d’avoir émis l’hypothèse d’une « sélection » par les médecins de SOS Médecins des patients « les plus favorisés » (propos repris par la presse, mais dont l’auteur contestait l’exactitude) était constitutif d’un manquement grave à l’obligation de confraternité.
Cette qualification a été retenue, alors même que les faits ne désignaient aucun médecin en particulier.
Pour le Conseil, la déclaration portait ainsi atteinte à la considération portée à la profession, d’autant plus que les plaignants ont fait remarquer que l’enquête réalisée par le Dr. Giroud soulignait dans le même temps « la part importante des patients relevant de la CMU et de l’Aide médicale d’état » chez les patients de SOS Médecins.
La sanction a donc été maintenue indépendamment du fait que le Dr. Giroud était, dans le même temps, président d’une organisation nationale. En réponse à la décision, SAMU-Urgences a toutefois publié un communiqué indiquant que les propos prêtés ne représentaient pas, en tout état de cause, son opinion personnelle, mais bien l’opinion de l’organisation. Sans doute le caractère public de la déclaration a joué dans la décision du Conseil de l’Ordre.
Charles Haroche
Avocat (Paris)