
Conakry, le mercredi 5 août 2015 - En Afrique de l’ouest, près de 17 000 personnes ont survécu à une infection par le virus Ebola. Et ces survivants sont confrontés à de nombreuses difficultés qui rendent problématique leur retour à une vie quotidienne normale, malgré le rôle que leur confèrent désormais les autorités internationales.
De mourant à ambassadeur !
A la demande d’institutions internationales, certains de ces malades guéris sont en effet amenés à jouer un rôle « d’ambassadeurs » contre Ebola : « ce sont souvent des messagers très efficaces surtout dans des pays comme la Guinée où la population n’a pas une très grande confiance dans la parole des institutions publiques. Bien souvent, les gens croient ce qu’ils voient et accordent donc du crédit à la parole de ces survivants qui sont un peu comme des patients-experts » explique au quotidien La Croix, le professeur Alice Desclaux, anthropologue de la santé, directrice de recherche à l’Institut de recherche et de développement (IRD), à Dakar.
Sur le terrain, une association de survivants c’est créée en Guinée à l’initiative de l’un d’entre eux, également médecin, le docteur Jules Aly Koundouno, infectiologue à l’hôpital de Donka. Fondée en septembre 2014, cette association regroupe 240 personnes : « Je participe régulièrement à des émissions de télé ou de radio pour informer sur la maladie et témoigner du fait qu’il est possible d’en guérir », explique le docteur.
Rejet et discrimination
Mais la vie après Ebola est semée d’embûches : « beaucoup doivent affronter dans leur entourage ou leur communauté des réactions de rejet ou de discriminations (…) Ces réactions sont liées le plus souvent à une mauvaise information et à une peur de la contamination qui est infondée », explique Jules Aly Koundouno.
« Beaucoup de gens vivent terrés chez eux sans oser sortir. Certains ont perdu leur emploi. Il y a aussi des commerçants qui ne peuvent plus travailler car personne ne veut les approcher », ajoute-t-il.
Mais ce rejet n’est pas uniquement lié à l’effroi provoqué par la maladie : « dans certains cas, il est provoqué par ce qui s’apparente à une sorte d’évitement face au poids du malheur », explique le professeur Desclaux. « Certains survivants ont parfois perdu plusieurs membres de leur famille (…) Et ce rejet social qu’ils subissent est parfois lié au fait que les personnes de leur entourage ne savent pas comment se comporter avec eux et quels mots utiliser face à un malheur d’une aussi grande ampleur ».
Bientôt une étude
Une étude* de cohorte multi-disciplinaire, baptisée « Revivre après Ebola en Guinée » est actuellement en cours. Ce projet développé par l’IRD, l’Inserm, l’université de Conakry et les hôpitaux de Donka et de Macenta vise à suivre durant un an 447 adultes et enfants ayant été déclarés guéris d’Ebola.
« Ce projet vise à analyser les conséquences médicales, psychologiques et socio-anthropologiques de la maladie. Il est encore trop tôt pour tirer des enseignements. Mais on constate déjà que beaucoup de survivants sont en proie à une forte souffrance psychique qui est très souvent ignorée. Chez certains, il y a par exemple une culpabilité d’avoir survécu alors que tant d’autres sont morts d’Ebola », explique le professeur Desclaux, qui doit présenter ce projet aujourd’hui lors d’une réunion organisée en Sierra Léone par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Au docteur Koundouno de conclure, dans une interview qu'il avait donné à une revue guinéenne : « vaincre la mort rend fort. Plus fort que la stigmatisation ».
*Les investigateurs principaux de cette étude sont le Pr Moumié Barry (Service de Maladies Infectieuses CHU de Donka, Guinée) et Eric Delaporte (IRD/INSERM, Université de Montpellier 1), le responsable de la composante sciences sociales est le Dr Bernard Taverne de l'IRD et elle est menée en collaboration avec le Dr Moustapha Diop du LASAG (Conakry).
Frédéric Haroche