Fusillades: quelle organisation des secours ?

La tentative d'attentat terroriste du Thalys, survenue ce vendredi 21 aout, est l'occasion de revenir sur la journée d’études consacrée à l’organisation des secours lors de fusillades qui s'est déroulée le 20 mai 2015 au Val de Grâce à l’initiative de la Société Française de Médecine de Catastrophe (www.sfmc.org).

Sous le regard de l'épidémiologiste 

L’étude épidémiologique des fusillades et des tueries de masses a été présentée par le Médecin Général Noto. On en différencie plusieurs types en fonction des circonstances de survenue, de l’origine et des motivations des agresseurs, du lieu de survenue, des victimes ciblées ou des armes utilisées :

- Le "mass shooting":  des tireurs entrant dans une enceinte comme une école, une université, un centre commercial dans l’objectif de faire un maximum de victimes.
- Les tireurs isolés en embuscade ou se déplaçant. Ils sont à 96 % des hommes. Dans 50 % des cas ils sont arrêtés par les forces de l’ordre, 40 % se suicident et 10 % sont tués sur place lors de l’intervention de neutralisation.
- Les actes de banditisme qui se terminent en fusillades.
- Les différents familiaux de type suicides collectifs prémédités ou les raptus psychiatriques.
- Les querelles de voisinage notamment liées au bruit avec une forte prédominance du contexte alcoolique.
- Les actes de terrorisme dont on a noté l’évolution entre les attentats à la bombe des années 1980 vers des fusillades avec affrontement avec armes à feu de plus en plus sophistiqués avec les forces de l’ordre, chez des individus décidés à mourir au combat.

Ce sont les Etats-Unis qui ont été le siège du plus grand nombre de fusillades, plus particulièrement dans les établissements scolaires et universitaires. On peut rappeler le massacre emblématique du Campus de Virginia Tec le 16 avril 2007 au cours duquel un étudiant en licence d’anglais a tué 32 personnes et s’est suicidé à l’arrivée de la police. L’Europe n’est pas épargnée, comme en témoigne la tuerie de l’île d’Uteoya en Norvège le 22 juillet 2011 où après un attentat à la bombe à Oslo visant le siège du gouvernement qui fit huit morts et 15 blessés, l’extrémiste Anders Breivink a tué 69 personnes et en a blessé 33 autres par balles.

Les cibles restent les lieux symboliques, les transports en commun et les endroits et moments de grande affluence du public.

Quelles armes pour quelles lésions ?

Les armes à feu et munitions des terroristes ont été détaillées par le Commissaire divisionnaire Hubert Valard qui a rappelé que l’arme n’est que le vecteur et que le point important est le type de munition. Ainsi un projectile 22LR dégage in fine à l’impact une énergie égale à un projectile 9mm Parabellum blindé. C’est la charge de poudre qui fait le danger et il ne faut pas être faussement rassuré lorsqu’un agresseur utilise un fusil du commerce.  L’utilisation de lance roquette en milieu clos paraît devenir un risque majeur (il a été signalé que les frères Kouachi même s’ils ne l’ont pas utilisé en possédaient un dans le coffre de leur voiture).

Le Dr Jean-Louis Daban de l’Hôpital d’Instruction des Armées Percy a détaillé la nature des lésions en fonction de la balistique. Il a insisté sur l’impossibilité de prévoir les dégâts internes notamment lors de l’utilisation de balles instables qui entraînent un effet de cavitation important.

La vitesse de la balle à l’impact est le facteur majeur, son poids jouant un rôle secondaire, les petites calibres à grande vitesse étant les plus létaux.

Les fusillades du 7 et 9 janvier à Charlie Hebdo et à l’Hyper-Cacher de Vincennes ont été présentées par le Dr Ramdani et le professeur Carli du SAMU de Paris et les Dr Clamai et Bignand de la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris (BSPP). Mais c’est le témoignage du Dr Patrick Pelloux qui, avec le professeur Tourtier, Médecin chef de la BSPP, fut un des premiers sur les lieux, qui a été le plus poignant. Patrick Pelloux, urgentiste mais aussi chroniqueur à Charlie Hebdo a expliqué que devant l’horreur qu’il a découverte ses réflexes de médecin urgentiste lui ont permis de faire mécaniquement les gestes de survie comme poser des garrots avec des ceintures car à « Charlie, on était pas trop cravates ». Mais dès que les blessés furent évacués il a été submergé par l’émotion dont il avait encore du mal à se remettre.

Le Dr Ramdani a expliqué que la méthode START (simple triage and rapid treatment) a été utilisée lors de la prise en charge des victimes et de l'évacuation après mise en condition rapide des 4 urgences absolues sans passage par un PMA vers des blocs opératoires préalablement alertés par le SAMU dans une optique de "damage control" pré hospitalier. On a ainsi respecté l’impératif de vitesse car le temps c’est de la vie (Time is life) chez des blessés à très fort potentiel hémorragique qui ont tous été dirigés vers des unités chirurgicales capables de réaliser les gestes d’hémostase ce qui a permis sans doute d’éviter des décès chez ces blessés très graves.

Le Professeur Carli quand à lui s’est félicité de la bonne articulation des services de secours entre eux et avec les forces de l’ordre dans un contexte très contraint avec des risques de sur-attentat pour les soignants, des difficultés d’accès, de la pression médiatique et politique sans parler du risque d’attentats multi-sites. Il a insisté sur le fait  qu’il fallait s’adapter à la situation et ne pas perdre inutilement du temps dans un PMA sans remettre cependant la doctrine française en cause. Pour ce qui est de l’Hyper-Cacher de Vincennes, la chaîne de secours habituelle a pu être mise en place et la médicalisation de l’avant a été assurée concomitamment par les médecins de la BSPP affectés à la Brigade d’Intervention de la préfecture de Police de Paris et ceux du RAID qui a donné l’assaut. Cet événement très médiatisé suivit en direct par toutes les chaînes d’information a donné lieu à la mise en place d’une chaîne de commandement intégré sous l’autorité du Préfet de Police de Paris. L’importance de la communication entre les différents services de santé a été mise en avant.

...et sur ceux de Liège, de Nanterre et de Toulouse

La réponse médicale lors des fusillades de Liège, de Nanterre et de Toulouse a été successivement détaillée par les Dr Stéphane Degèves, François Templier, Anne-Marie Arvis et Jean-Louis Ducassé. A chaque fois il a été souligné la nécessité de s’assurer de la sécurisation des lieux avant d’engager des secours médicaux pour éviter ce que les anglo-saxons appellent le « go and die » pour les équipes de secours non protégées. Il convient aussi de s’approprier le contexte pour dimensionner correctement les moyens, de s’adapter en modifiant le schéma quotidien de régulation médicale d’acceptation des patients par les hôpitaux d’accueils mais en gardant à l’esprit que le bon patient doit être amené au bon endroit dans de bonnes conditions et surtout dans les meilleurs délais pour limiter les décès.

Le principe du "damage control"

Le concept de "Damage control" a été présenté par les Professeurs Benoit Vivien et Jean-Pierre Tourtier. Le "damage control" chirurgical est une pratique de prise en charge de victimes en choc hémorragique traumatique dont le principe est une intervention chirurgicale de sauvetage en urgence limitées aux lésions abdominales dans un premier temps  par une laparotomie écourtée et aux lésions thoraciques ou des membres présentant un risque vital. Le traitement chirurgical complet et définitif des lésions est réalisé secondairement après stabilisation des désordres hémodynamiques et de la coagulation.

Cette stratégie chirurgicale s’inscrit désormais dans un concept plus large de "damage control rescucitation" en unité de soins intensifs et de "damage control ground zero" pour la prise en charge en pré hospitalier. Le terme d’abord associé à la première explosion nucléaire le 16 juillet 1945 dans le Nouveau Mexique est devenu iconique après l’attentat du World Trade center et de fait doit être compris comme in situ, sur les lieux de l’évènement.  Il s’agit de prendre immédiatement en compte la triade létale : hypothermie - acidose – coagulopathie.  Cela passe avant tout par un contrôle multifactoriel de l’hémorragie. Les modalités pré hospitalières ou phase "ground zero" consistent en une lutte contre l’hypothermie avec mise en place de couverture isotherme, un contrôle des hémorragies externes avec pose rapide d’un garrot, une stratégie d’hypotension permissive pour les hémorragies internes en évitant les perfusions massives délétères parce qu’elles aggravent le saignement et la coagulopathie et un recours rapide (éventuel) aux vasopresseurs si il y a un traumatisme crânien associé. La stratégie transfusionnelle a aussi évolué avec un apport précoce de facteurs de coagulation et de plaquettes voire de sang total. En pré hospitalier il y a lieu d’administrer rapidement des agents hémostatiques car les études montrent qu’il n’y a plus de bénéfice au-delà de 3 heures. L’utilisation de facteur VII activé reste malheureusement exceptionnelle en raison de son prix élevé mais est conseillée. La stratégie transfusionnelle la meilleure serait un ratio de concentré de globules rouges / plaquettes/ plasma frais congelé de 1/1/1.

Garrot tactique et pansement hémostatique

L’hémostase de l’avant a été présentée par le Dr Travers de la BSPP, elle découle de l’expérience acquise en Afghanistan et en Irak. L’utilisation large et précoce du garrot, abandonné depuis plusieurs dizaines d’année en pratique civile de peur de lésions secondaires, a permis chez les blessés de guerre de réduire significativement la mortalité quasi sans complications si le garrot est maintenu moins de 2 heures. Un nouveau type de garrot avec tourniquet est préconisé.
Par ailleurs plusieurs types de pansements imprégnés de produits hémostatiques ont été développés permettant un packing des plaies pour lesquelles la lésion hémorragique est non accessible au garrot.

L’hôpital face aux victimes de fusillades

La fonction de coordination du parcours de soins des blessés lors de fusillades a été présentée par le Dr Jean-Sébastien Marx du SAMU75 et l’organisation de l’accueil par le Dr Mathieu Raux de l’hôpital La Pitié-Salpêtrière. Les points clés sont l’alerte précoce des salles de réveil et des blocs opératoires pour shunter le processus habituel d’admission et de confier ces victimes en état de choc hémorragique à l’équipe pluridisciplinaire composée des chirurgiens viscéraux et traumatologues et des radiologues interventionnels. Il faut aussi savoir parfois éviter de perdre du temps avec de l’imagerie qui risque de retarder le traitement et nuire au patient. L’organisation en cas d’afflux massif est facilitée par une équipe médico-technique affectée à chaque victime et portant pour chacun de ses membres une chasuble de la même couleur ce qui permet de rapidement identifier qui s’occupe de quel patient sans confusion.

Enfin le Dr Didier Cremniter, psychiatre référent national CUMP, a présenté un autre aspect de l’intervention des médecins hospitaliers lors de ces fusillades psychologiquement très traumatisantes pour les victimes, les impliqués, les familles... et les soignants. Les cellules d’urgences médico-psychologiques ont montré dans ce domaine leur pertinence. Pour la fusillade de Charlie hebdo la stratégie mise en place a été d’utiliser les services de l’Hôtel de Dieu pour la prise en charge en dehors du périmètre immédiat de la fusillade.

Quand les urgentistes français se rapprochent des anglo-saxons

Cette journée très riche s’est conclue par une intervention du Commissaire divisionnaire Gilles Laborie qui a expliqué le dispositif d’intervention spécialisée du Ministère de l’Intérieur et ses spécificités parisiennes. La gestion de ces crises doit se faire à la fois verticalement avec une information circulant du terrain vers les autorités centrales mais aussi horizontalement pour coordonner l’action entre les différents services intervenants. A Paris et en petite couronne l’ensemble des moyens est sous les ordres du Préfet de Police directeur des opérations de secours, la BSPP est chargée d’organiser le tri, l’évacuation et d’une manière générale le secours aux victimes en collaboration avec les SAMU qui s’occupent de la régulation et du parcours de soins vers les hôpitaux. Les périmètres de sécurité, la matérialisation des itinéraires pour faciliter l’évacuation des victimes et l’acheminement des renforts relèvent du commandant des opérations de police et de circulation. Et c’est le commandant des opérations de police judiciaire et ses collaborateurs, après avoir avisé le Procureur de la République, qui procède à l’identification et l'enregistrement des victimes et des témoins et procède aux premières investigations judiciaires. Les interventions sont réalisées soit par la BRI, le RAID et ses antennes en province ou le GIGN et les pelotons d’interventions interrégionaux de la Gendarmerie chacun en fonction de sa compétence territoriale. Pour les forces de l’Ordre l’intervention est considérée comme une urgence absolue lors d’une tuerie en cours et relative pour les autres cas lorsque le dispositif peut se mettre en place.

Le Professeur Bertrand Ludes, récemment nommé à la tête de l’Institut de Médecine Légale de Paris a mis en perspective l’approche médico-légale qui vise à déterminer le plus exactement possible les causes exactes du décès à travers une analyse précise des lésions et les conditions et la chronologie dans lesquelles les tirs sont opérés. Bertrand Ludes a insisté sur le rôle nouveau dans l’analyse balistique de l’imagerie post-mortem en particulier la scannographie.

Une fois de plus la Société Française de Médecine de Catastrophe
a su, sous l’impulsion du Médecin Général Henri Julien, son dynamique président, réunir un panel de spécialistes autour d’une actualité brûlante mais riche en enseignements.

Au total, il faut surtout retenir la nécessité pour les forces de l’ordre et les services de secours de travailler ensemble chacun devant connaître les impératifs de l’autre pour éviter que ces situations ne dégénèrent en drames absolus.

On voit aussi que de plus en plus les médecins urgentistes français se rapprochent des anglo-saxons avec des modalités de réanimation préhospitalière initiales limitées aux gestes de survie pour être "just in time" c’est à dire pas plus de 10 minutes de prise en charge sur les lieux et en moins de 20 minutes au bloc opératoire avec un transport rapide vers une structure chirurgicale adaptée.

Dr Francis Leroy

Références
1) Tourtier JP, Pelloux P, Dang Minh P, Klein I, Marx JS, Carli P. Charlie Hebdo attacks : lessons from the military milieu. Am J Emerg Med 2015 http://dx.doi.org/10.1016/j.a.jem.2015.03.026
2) Tourtier JP, Palmier B, Tazarourte K, Raux M, Meaudre E, Ausset S et coll. : Le concept de damage control : extension préhospitalière du paradigme. Ann Fr Anesth Reanim 2013 ; 32 :520-6

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