Appel pour plus d'"hospitalité" en psychiatrie

Paris, le mercredi 9 septembre 2015 – Ces dernières années, les rapports se sont multipliés pour dénoncer les difficultés croissantes de la psychiatrie. Manque de moyens, disparités territoriales flagrantes, personnels parfois désemparés et désengagés, structures affaiblies : les maux sont nombreux et les diagnostics diffèrent peu. Parallèlement, la demande de soins est croissante et l’offre peine à répondre à cette augmentation : on ne compte plus les enquêtes mettant en évidence l’allongement des délais avant l’obtention d’une consultation, notamment pour les enfants et adolescents.

Hôpitaux ou prisons ?

Symbole de cette psychiatrie en souffrance, l’utilisation de la contention  aurait constamment progressé ces dernières années. Un rapport conduit par le député Denys Robillard et rendu public début 2014 affirmait ainsi que les hospitalisations sous contrainte ont augmenté de 50 % en cinq ans. Concernant la  contention, « les statistiques dans ce domaine sont rares et aucun suivi n’existe au niveau national » avait observé le rapport.  Cependant, une enquête réalisée par le secrétaire général de l’Intersyndicale de défense de la psychiatrie publique, Christiane Santos avait permis de constater une généralisation de cette pratique, bien que des différences s’observent d’un établissement à l’autre. Au-delà de la contention, des mesures d’isolement et des hospitalisations sous contrainte, les inspections conduites par le contrôleur général des prisons, notamment à l’époque de Jean-Marie Delarue ont contribué à décrire les privations nombreuses dont sont l’objet les patients admis en psychiatrie. Ces derniers peuvent ainsi fréquemment être privés de téléphone portable, de relations sexuelles, quand ils ne demeurent pas toute la journée en pyjama, faute de pouvoir avoir accès facilement à leurs vêtements ou à une douche (les chambres doubles ou triples sont encore nombreuses en psychiatrie).

Des inquiétudes à tous les niveaux

Face à cette situation, le collectif des 39, qui réunit des psychiatres qui s’étaient regroupés contre les propositions de Nicolas Sarkozy en matière de psychiatrie (baptisées la « nuit sécuritaire ») l’association Humapsy et le collectif Le fil conducteur évoqueront cet après-midi au Sénat l’importance de donner une nouvelle « hospitalité » à la « folie ». Les discussions concerneront tout d’abord la « dégradation progressive de l’accueil et de la prise en charge de la souffrance psychique des enfants ». Il s’agira notamment d’alerter les élus et le grand public non seulement sur la pénurie de moyens, mais aussi sur une tendance de plus en plus marquée à la médicalisation de certains comportements. Les intervenants ont ensuite l’intention de revenir sur la « banalisation des pratiques de contention », en évoquant les raisons de cette tendance et les solutions pouvant être développées pour la freiner. Enfin, seront évoqués les problèmes de rupture de prises en charge, liés notamment à la désorganisation et à la déshumainisation des espaces de soins.

Redonner confiance et dignité à tous, patients comme soignants

Fondateur du collectif des 39, Hervé Bokobza (Montpellier) clôturera ce colloque et espère pouvoir lancer un appel solennel. « Qui d’entre nous supporterait de voir son enfant ou son parent proche, ou un ami, en grande souffrance psychique, attaché, ligoté, sanglé, isolé ? Qui accepterait de s’entendre dire que c’est pour le bien de cette personne chère, alors qu’il est possible d’agir autrement ? » s’interroge dans Libération celui qui souhaite ainsi s’adresser aux sénateurs : « Ne pas céder à cette peur nous revient, vous revient à vous, les élus du peuple. Il nous revient d’affirmer haut et fort qu’une psychiatrie sécuritaire va à l’encontre des intérêts des patients et de la société dans son ensemble. Nous sommes persuadés que dire non à la contention, que proscrire cet acte redonnera confiance et dignité à tous les acteurs du système de soins et permettra que la citoyenneté retrouve sa raison d’être ».

Une profession partagée

Si les différents organisateurs de ce colloque espèrent faire date et plus concrètement dissuader les sénateurs d’adopter, à travers la loi de santé, des amendements tendant à donner à l’usage de la contention des justifications thérapeutiques, ils ne peuvent ignorer que le consensus n’est pas total au sein de la profession. Le rapport de Denys Robillard citait ainsi les avis opposés du docteur Jean Ferrandi secrétaire général du Syndicat des psychiatres d’exercice public (SPEP) plaidant pour contenir la contention par un protocole, tandis qu’ « à l’inverse, le docteur Patrice Charbit, président de l’Association française des psychiatres d’exercice privé-Syndicat national des psychiatres privés n’est pas favorable à un encadrement de cette pratique car cela déresponsabiliserait les professionnels de santé ».

Aurélie Haroche

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Vos réactions (4)

  • On fait du gardiennage voila tout

    Le 09 septembre 2015

    Cela fait 30 ans bientôt que je travaille en tant qu'infirmier en psy à l'hôpital public et j'ai vu la charge de travail des infirmiers augmenter de façon délirante au fil des années. Nous avons remplacé les secrétaires, les diététiciennes, les cadres etc etc....
    Cerise sur le gâteau, dans le plan d'économies de notre très "chère" ministre de la santé, notre directeur est missionné pour économiser 3 millions d'euros sur le pôle de psychiatrie. Notre très "cher" directeur va donc remplacer des infirmiers par des aides soignants et des AMP (il touchera sans doute une prime pour ça...mais là, ça ne coute sans doute rien).Evidemment que nos compétences infirmières ne servent à rien et, mieux encore, tout cela se fait avec l'assentiment des médecins et des cadres du pôle .Ah les dégâts de la gouvernance...
    Alors plus d'hospitalité en psy ? On ne peut même plus parler de psy, on fait du gardiennage voila tout...l'avenir est sombre, sombre, sombre.
    Ils auront tout fait en trente ans pour me décourager...plus que 4 ans et la quille...jamais je n'aurais cru dire ou écrire ça.

  • L'évolution psychiatrique est en panne...

    Le 13 septembre 2015

    La demande de soins en psychiatrie est d'autant plus importante que les psychiatres
    détiennent toujours en 2015, le monopole des prescriptions d'arrêts de travail et du remboursement des consultations par la SS.
    Pour cette raison, un très grand nombre de personnes en souffrance psychique consultent en psychiatrie, alors que des consultations de psychologues pourraient convenir.
    Cet état des choses constitue une rente de situation pour les psychiatres et explique que leurs cabinets ne désemplissent pas, en particulier dans la période de crise actuelle.
    Pour des raisons à la fois historiques, politiques et économiques, tout se passe en effet comme si la médecine psychiatrique - ie les thèses biologiques dominantes - détenait la primauté des explications et des traitements en psychopathologie, ce qui n'est pourtant pas le cas.
    Cette situation renforce un préjugé courant, imputant à la constitution biologique d'une personne ou aux mécanismes biochimiques de son cerveau, les causes de ses comportements, ainsi que leurs conséquences.
    Pour ces mêmes raisons, dont Edouard Zarifian parlait en termes de déni du psychisme dans la psychiatrie contemporaine, les fonctions des psychiatres sont la plupart du temps réduites à la sédation des troubles, à la mise à l'abri des patients et/ou à la contention des comportements, suivant les cas, les fonctions psychothérapeutiques à proprement parler exigeant des compétences autres que médicales.
    Par conséquent, de fait encore, seule une minorité de psychiatres ayant acquis d'autres formations (psychanalystes, psychothérapie, etc..), sont à même d'apporter des soins sortant des schémas traditionnels et de la psychiatrie sécuritaire, c'est-à-dire de l'enfermement des patients considérés dangereux pour eux-mêmes et pour autrui, en particulier.
    Autrement dit, tant que le psychisme ne sera pas pleinement pris en compte en psychiatrie, mais aussi plus généralement par les pouvoirs publics, les professionnels et les patients se heurteront toujours aux mêmes difficultés, à savoir des pratiques sclérosées et sclérosantes, inhérentes à une institution amputée de ses capacités de progrès, pour ainsi dire.

    Françoise Zannier

  • Toujours les amalgames

    Le 20 septembre 2015

    Certes, il existe de nombreuses situations inacceptables en psychiatrie et depuis plus de 30 ans j'entends les défenseurs de la psychanalyse nous expliquer que hors cette pratique point de salut, que la demande augmente, que les psychotropes sont des cochonneries, que les moyens baissent etc... et certains collègues de prendre des postures médiatiques contre l'asile (en général, d'ailleurs ils y travaillent, mais peu, préférant réserver leurs soins à leur carrière qu'a leurs patients). Bref. Depuis 30 ans aussi je vois des équipes qui innovent, se dévouent, d'autres qui sont épuisées, et tentent de survivre. Zarifian, après avoir été évincé de l'association de psychiatrie biologique mondiale, a brutalement découvert le psychisme, sans doute le sien s'était il mal accommodé de ce déclassement. Pour ce qui est des pouvoirs publics leur incurie est à la hauteur de la vacuité de leur discours.
    Travailler en psychiatrie, c'est aussi supporter tous les jours ces dénigrements, ces controverses stériles, et ces jugements définitifs. Ce n'est parfois pas le moins pénible.

    Dr Philippe Pinson

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