
Paris, le jeudi 17 septembre 2015 – Le gouvernement s’est félicité il y a quinze jours de l’arrivée dans les écoles françaises de 130 000 tablettes. Cette progression du numérique dans l’éducation nationale aurait dû ravir les amoureux des nouvelles technologies. Cependant (faut-il que le gouvernement manque de chance !) ces derniers jours, l’utilisation des tablettes par les plus jeunes est plus que jamais dans l’œil du cyclone. Ainsi, alors qu’une étude de l’OCDE relativisait récemment le bénéfice réel de ces nouveaux supports dans l’éducation des enfants, dans le Monde, un psychologue, deux enseignants, une orthophoniste et deux médecins publiaient ce lundi une tribune relativement alarmante sur l’exposition des enfants aux écrans et notamment aux tablettes. Ces spécialistes assurent ainsi que l’usage intensif de ces dernières « augmente les troubles de l’attention ; retarde l’émergence du langage ; entrave la construction du principe de causalité et des premières notions de temps ; altère le développement de la motricité fine et globale ; nuit à une socialisation adaptée ». De tels dégâts doivent pour les auteurs inciter à la plus grande vigilance des parents et des éducateurs. La première signataire de cet appel, la psychologue Sabine Duflo va même plus loin en affirmant (dans une interview à BFM TV) que la surexposition des enfants à ces nouveaux outils numériques est un « enjeu de santé publique » et en veut entre autres pour preuve le fait que des progrès sont rapidement obtenus chez ses jeunes patients (utilisant plus de six à sept heures par jour une tablette) dès lors qu’ils restreignent (ou bannissent) ces outils.
Position rétrograde
L’avis catastrophé de ces spécialistes n’est pas, on le sait, unanimement partagé. Dans les colonnes du Figaro, le professeur de psychologie du développement Olivier Houdé remarque : « Cette réaction rappelle celle face à l'imprimerie, à la Renaissance, quand beaucoup de voix s'élevaient contre les livres censés pervertir la jeunesse. L'histoire a montré que les livres sont essentiels à la construction de l'intelligence, ce sera la même chose pour les écrans ». Ce chercheur et plusieurs de ses collègues avaient déjà été il y a deux ans au cœur d’une polémique sur le même sujet. L’Académie des sciences dont il est membre avait en effet publié un avis très contesté sur l’usage des tablettes et autres outils de ce type par les plus jeunes. La préface de ce rapport signé entre autres du professeur Jean-François Bach, de l’astrophysicien Pierre Léna et du psychiatre Serge Tisseron, affirmait : « L’utilisation de l’Internet et d’outils numériques variés a transformé d’abord les loisirs, puis l’apprentissage, l’éducation et la formation culturelle des enfants de tous âges. Cette évolution, qui apparait aujourd’hui irréversible, a des effets positifs considérables en améliorant l’acquisition des connaissances et des savoir-faire, mais aussi en contribuant à la formation de la pensée et à l’insertion sociale des enfants et des adolescents ». Un avis on le voit assez enthousiaste, que ne manquent d’ailleurs pas de critiquer les signataires de la tribune du Monde (à l’instar d’autres spécialistes, dès 2013, qui avaient fustigé le manque de rigueur scientifique de l’Académie !).
Ne pas tirer des conclusions à partir de cas extrêmes et pathologiques
Ces différents points de vue doivent-ils être cependant
considérés comme totalement inconciliables ? L’alerte lancée par
des médecins et psychologues cette semaine dans le Monde n’est-elle
pas biaisée par une trop grande attention aux cas extrêmes, ceux de
jeunes patients chez lesquels la surexposition aux outils
numériques est probablement non seulement excessive et supérieure à
la moyenne et s’inscrit également dans des contextes médicaux et
familiaux parfois complexes ? Par définition, les enfants que
reçoivent ces spécialistes souffrent de difficultés (qui ne se
limitent et ne s’expliquent sans doute pas uniquement par l’usage
de la tablette… voire même peuvent se développer en l’absence de
tels outils !). En vantant les mérites des nouveaux supports
numériques, l’Académie des sciences n’encourageait d’ailleurs sans
doute pas les usages les plus extrêmes et donnait même quelques
conseils pour que les bénéfices de ces nouvelles technologies
demeurent toujours supérieures à leurs risques.
Aurélie Haroche