
Paris, le samedi 19 septembre 2015 – Quand on est médecin libéral, que l’on multiplie les journées à rallonge et que le temps est une denrée plus que précieuse (pour ses patients, comme pour soi), choisir, malgré tout de "tenir" un blog, est souvent un indice de l’intensité de sa passion pour son métier. Car les médecins blogueurs parlent d’abord de leur vocation, de leurs patients, de leur désir de soigner mieux, des réflexions que leur inspirent chaque jour les malades, des évolutions de la médecine et des progrès en tous genres. Cependant, au fil des notes, des anecdotes, ce sont aussi les tracasseries administratives, les inquiétudes sur leur avenir, les regrets face au mécontentement des patients qui prennent de plus en plus de place, nouant une amère désillusion.
Amour toujours
La gastroentérologue auteur du blog Cris et chuchotements (Marion Lagneau), et la généraliste qui a baptisé son site Fluorette comptent parmi celles qui régulièrement évoquent l’amour de leur métier. « J’ai toujours voulu être médecin, d’aussi longtemps qu’il m’en souvienne » répète une nouvelle fois dans une note récente Marion Lagneau. De son côté Fluorette, outre son amour pour la médecine, insiste sur le fait que sa spécialité et son mode d’exercice ont toujours été une évidence. « Quand je me suis installée, j’ai vraiment cru que c’était pour toujours ». Cette passion, songeaient les deux médecins auraient dû en effet durer éternellement. Mais lentement les désillusions se sont installées.
Tant qu’il y aura l’envie de soigner…
D’abord, on ne veut pas y croire : « Longtemps, j’ai été convaincue que jamais ne me gagnerait l’agacement, ni l’énervement, ni le découragement. Convaincue que l’essentiel de ma vie professionnelle serait la relation de soin. Convaincue que c’était surement exagéré de parler autant des fameuses "tâches administratives". Convaincue que les médecins étaient animés des mêmes ambitions et partageaient mon enthousiasme, convaincue de l’entente entre praticiens, et des beaux projets que les médecins pourraient mener ensemble » se souvient Marion. Il ne s’agit pourtant pas de se voiler la face, mais d’être persuadé que l’on viendra à bout de tous les obstacles. « Ça semblait idéal. Une zone sous-médicalisée mais j’avais la foi et la force de faire bouger les montagnes alors c’est pas un système de gardes archaïque qui allait me faire peur » décrit Fluorette.
Insidieux harcèlement
Mais les épreuves se révèlent de plus en plus nombreuses. Dans leurs deux notes, publiées les 1er et 2 septembre, et pourtant non liées, les deux médecins, vont citer les mêmes empêcheurs de faire son métier avec la même passion.
D’abord, il y a les caisses d’assurance maladie, harcelantes et obsédantes. Marion Lagneau revient ainsi rapidement sur « les relations parfois compliquées avec les caisses et les tutelles et les directions d’établissement » et Fluorette détaille : « Dans l’indifférence générale, la surveillance et le harcèlement ont déjà commencé : la CPAM convoque et accuse ceux qui font statistiquement trop d’arrêts. Sans se pencher sur la question de savoir pourquoi les patients ont besoin de ces arrêts. Sans se demander si ce patient, à qui on aura refusé un arrêt car on en a déjà fait trop, ira se pendre dans le bois. Sans se demander quel retentissement a sur ces médecins le fait d’être accusé, alors qu’ils essaient de soigner. (…) Et comme c’était pas encore assez drôle, la CPAM a aussi envoyé des courriers pour reprocher des instaurations de traitement, à des médecins qui sont sûrs de ne pas les avoir instaurés. Oh ben ça mange pas de pain, dans le paquet yen a forcément un ou deux qui sont “coupables”, ça aussi c’est statistique. J’ai encore reçu le courrier type m’expliquant que j’avais reçu de leur part 11,50 euros en trop et que j’avais intérêt à leur rendre. C’est pas la somme qui me dérange, c’est la façon de le dire, comme si je leur avais volé ».
Se faire traiter de nantis à longueur de pages
A cette traque quotidienne, s’ajoute un climat général pesant, qui favorise un discours toujours plus sombre sur les médecins. Une fois encore, on retrouve la même blessure chez les deux praticiens : « Nous échangeons beaucoup sur l’indigeste mayonnaise politico-sociale qui assaisonne chacun de nos jours et suscite bien des préoccupations. Faire partie d’une profession remise en cause de toutes parts est remuant. Pourquoi affirmer à longueur de discours et d’articles de presse que nous sommes trop chers, faisons trop de dépassement d’honoraires, n’avons pas assez d’écoute, ne prenons pas de décisions partagées avec les patients ? » s’interroge Marion Lagneau. Et Fluorette, de son côté regrette : « Et si vous lisez les journaux ou regardez la télé, vous n’avez pas pu passer à côté des attaques régulières de politiques sur les médecins ces nantis qui ne pensent qu’à leur pactole et pas à l’accès aux soins des patients ».
Le summum : la loi de santé
Chez les deux praticiens, la future loi de santé constitue le point culminant de cette rupture entre le monde politique et les médecins. « Nous ne savons pas comment expliquer qu’il nous parait anormal de voir décider, sans l’accord de toute la profession, d'une obligation de pratiquer le tiers payant. Nous nous inquiétons de la lourdeur de ce que cela impliquera. Et du temps qu’il faudra trouver encore pour ça », remarque l’auteur de Cris et Chuchotements, tandis que Fluorette renchérit « Et faut reconnaître que Marisol ne m’aide pas beaucoup. D'année en année, c'est de pire en pire. Quels que soient ceux qui décident. Le moindre remplaçant à qui je propose une collaboration m’explique que la loi de santé lui fait peur. Être contre la loi de santé c’était un peu bête parce qu’il y avait des points intéressants. Mais je suis quand même allée défiler parce que ce tiers payant généralisé est impossible à appliquer dans les conditions actuelles, que c’est une fourberie pour glisser encore plus vers les mutuelles (…).Cette loi de santé c’est la cerise sur le gâteau de toutes les merdouilles administratives que nous nous farcissions auparavant ».
Champs de bataille
On retrouve enfin, dans cette longue litanie de désillusions, un couplet sur les relations parfois difficiles avec les patients. Ainsi, Marion Lagneau déplore : « les attentes des patients bien trop élevées par rapport à ce que l’on peut vraiment leur offrir (…) leurs exigences de disponibilité médicale à la demande, (…) la fatigue que créée la permanente sur-sollicitation » et évoque « l’impatience, les incivilités qui ont pénétré nos bureaux médicaux, les journées ou consulter est loin de la docte sérénité espérée, et les soirs où l’on rentre chez soi avec l’impression d’avoir mené des batailles ». En écho encore, Fluorette nous raconte : « Tiens, parlons des patients. Parlons de ceux qui engueulent ma secrétaire ou mes confrères si on refuse de nouveaux patients. De ceux qui m’enguirlandent disant que je ne suis jamais disponible pour leur nez qui coule quand l’hiver je fais 50 heures plus les astreintes (…). De ceux qui ne repassent jamais régler le reste à charge. De ceux qui, face à mes rares refus d’écrire “non substituable”, se lancent dans une diatribe à base de “j’ai droit à”, “avec ce que je paie comme impôts, vous vous rendez compte” (…). De ceux qui m’ont menacée d’une plainte ».
Fermer la porte
Si semblables, ces deux billets sont pourtant mus par des aspirations différentes. Marion Lagneau ne fait qu’un constat, regrettant que ces désillusions aient pris le pas sur tout autre sujet de conversations lors de ses rencontres avec ses confrères, quand Fluorette, plus grave, annonce qu’elle a décidé de « fermer la porte » de son cabinet. Pourtant, la passion demeure. « Rien n’a changé dans ma vocation à être médecin » martèle Marion Lagneau, quand Fluorette énonce : « J’aime vraiment mon boulot. J’aime prendre le temps d’écouter les patients, de leur poser des questions, de les examiner, de faire des petits actes de chirurgie pour leur éviter un aller-retour à la grosse ville (…) j’aime faire le point et réévaluer la liste de tous leurs traitements, et ce n’est pas inutile car je découvre régulièrement un médicament que ni moi ni celui qui le prend ne sait pourquoi il est là. J’aime tout ça. (…) J’aime énormément mes patients » assure-t-elle.
Et pourtant la désillusion demeure, tellement forte qu’elle
pousse de jeunes médecins comme Fluorette à choisir
d’autres voies et des praticiens plus expérimentés comme Marion
Lagneau à élever la voix.
Il ne serait pas inutile que certains les entendent.
Vous pouvez relire ces différents témoignages sur le blog de
Marion Lagneau
http://cris-et-chuchotements-medicaux.net/2015/09/02/2015-09-de-la-passion-aux-preoccupations/
et de Fluorette :
http://fluorette.over-blog.com/2015/09/ouvrir-une-porte.html
Aurélie Haroche