
Paris, le vendredi 16 octobre 2015 – La France souffre d’une pénurie chronique d’ovocytes, tandis que les dons de sperme ne sont guère en bonne posture. Pour faire face à cette situation, de nombreux spécialistes ont régulièrement évoqué la possibilité d’une rémunération, à l’instar de ce qui est pratiqué dans d’autres pays, notamment en ce qui concerne le don d’ovocytes, processus long et potentiellement douloureux. Mais au nom de l’intangibilité du principe de gratuité des éléments du corps humain, les pouvoirs publics s’y sont toujours refusés. Il était donc nécessaire de trouver une autre solution, puisqu’on ne pouvait guère plus cautionner que les Françaises se tournent vers les pays mieux pourvus (ou plus pragmatiques ?) : on se souvient du rappel à l’ordre qui avait été envoyé aux gynécologues qui n’hésitaient pas à conseiller la voie espagnole à leurs patientes les plus "désespérées".
Compensation en nature
Une réponse frisant quasiment le génie a été imaginée. Etape 1 : le don d’ovocyte et de sperme est élargi aux personnes n’ayant pas d’enfants, ce qui permet d’augmenter le champ des donneurs potentiels. Mais surtout, étape 2, pour inciter ces derniers à faire montre de générosité, leur sera proposée (et seulement à eux) la possibilité de congeler une partie de leurs gamètes, afin de pouvoir les utiliser s’ils nécessitaient ultérieurement de s’inscrire dans un programme d’assistance médicale à la procréation. Les décrets permettant ces évolutions ont été publiés au journal officiel hier, comme nous le suggérions rapidement dans nos colonnes.
Des gardes fous bien pensés
Quel regard portent les spécialistes sur ces innovations ? Ceux qui depuis des années estiment qu’il faut déroger au principe de la gratuité des dons, ne s’offusquent nullement de cette "compensation". Et certains spécialistes se félicitent clairement des nouvelles règles, estimant que l’équilibre est bien respecté entre altruisme et "compensation". « L’esprit du décret qui a mis du temps à être publié est conforme à ce que l’on souhaitait. La priorité est donnée au don et la conservation pour soi est secondaire » se félicite dans les colonnes de Pourquoi docteur, le professeur Jean-François Guérin, président de la commission d’éthique des Centres d’études et de conservation des œufs et du sperme (CECOS). De son côté, le biologiste spécialiste de la reproduction, Laurent Janny, considère dans le Nouvel Observateur que les gardes fous permettant d’éviter que les donneurs soient uniquement attirés par la possibilité de conserver leurs gamètes ont été mis en place : entretien psychologique, utilisation des gamètes possible uniquement dans le cadre d’une AMP et rappel des limites de l’efficacité de la conservation des ovocytes.
Un texte insuffisant
Tous cependant ne partagent pas cet enthousiasme. D’abord, certains estiment que l’efficacité de cette nouvelle disposition sera probablement limitée. Le docteur Joëlle Belaïsch-Allart, vice-présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) estime ainsi que le décret est « clairement insuffisant ». Le CNGOF, d’une manière générale, regrette la timidité du texte et rappelle qu’il s’est prononcé en faveur de la possibilité pour toutes les femmes de conserver leurs ovocytes pour des raisons de convenance (à l’instar de ce qui est possible pour les hommes).
Une dérive inquiétante
D’autres enfin, estiment cette ouverture dangereuse et redoutent cette remise en cause du principe de gratuité. « Là nous contournons habilement le problème en parlant de compensation », fait ainsi remarquer le docteur Sylvie Epelboin, responsable du Centre d’assistance médicale à la procréation de l’Hôpital Bichat-Claude Bernard à Paris sur le site Pourquoi docteur. Enfin, certains spécialistes s’inquiètent de cette possibilité d’autoconservation, non seulement parce qu’elle restreint le caractère altruiste du don, mais aussi parce qu’elle favorisera les grossesses tardives. Ce sont notamment les préoccupations du professeur Grynberg, chef du service de médecine reproductive à l’hôpital Jean-Verdier de Bondy et du docteur Letur, co-présidente du Groupe d’étude pour le don d’ovocytes.
On le voit, sur ce dossier, les gynécologues n’ont certainement pas tous leurs œufs dans le même panier.
Aurélie Haroche