
Si, après une longue phase de scepticisme, les relations entre l'infection à Helicobacter pylori et certaines pathologies gastriques sont maintenant clairement établies, l'épidémiologie, le pouvoir pathogène, les techniques permettant de mettre en évidence la présence de cette bactérie et les différentes méthodes d'éradication à notre disposition ne sont pas encore connus avec précision par tous les praticiens. C'est pourquoi nous débutons aujourd'hui un cycle d'articles sur cet ennemi invisible.
Un homme sur deux
Helicobacter pylori est une bactérie de réservoir humain particulièrement répandue puisqu’on estime que dans le monde plus de 50 % de sujets l’abritent. Il existe cependant des variations en fonction des zones géographiques, des conditions socio- économiques, d’hygiène et de l’âge. On constate ainsi un gradient entre les régions rurales des pays en voie de développement, où la prévalence est plutôt de 80 %, et les régions urbaines des pays développés dans lesquelles la prévalence se situe en dessous de 40 %. Ces différences sont dues au mode de transmission de cette bactérie (logée dans l’estomac humain) se faisant par l’intermédiaire de vomissures et de régurgitations, ou de la salive (oro-orale) ; elle peut également résulter d’une contamination fécale en cas de transit accéléré (voie féco-orale). La transmission est donc volontiers intrafamiliale, entre mère et enfant ou au sein de la fratrie et plus fréquente dans les familles nombreuses, survenant habituellement au cours des 5 premières années de la vie. Dans les zones les plus pauvres, aux conditions de vie et d’hygiène plus précaires, avec une plus grande promiscuité, une plus grande fréquence des diarrhées, les risques d’infection sont majorés, ce d’autant que s’y ajoute un risque de transmission par l’eau ou des aliments contaminés.
Par ailleurs, une fois l’estomac colonisé, en l’absence de traitement, la présence bactérienne persiste pendant de longues années, voire toute la vie.
En France, la prévalence de l’infection par Helicobacter Pylori est d’environ 50 % chez les personnes âgées de 60 ans et plus, alors qu’elle n’est que de 20 à 50 % chez les adultes plus jeunes et de 5 à 10 % chez les enfants, grâce à l’amélioration de l’hygiène. La possibilité de contracter l’infection à l’âge adulte est aujourd’hui très rare dans les pays développés. .
Symptômes et évolution
Dans la majorité des cas (environ 80 %), l’infection à
Helicobacter pylori reste asymptomatique, bien qu’elle
provoque constamment une gastrite histologique qui aboutit à une
atrophie de la paroi gastrique. Cependant, en fonction de la souche
bactérienne, de facteurs d’environnement, des caractéristiques
immunitaires et génétiques de l’hôte, une lésion peut se développer
dans 10 à 20 % des cas, parfois à un âge avancé. Il s’agit
d’ulcères gastro-duodénaux, de cancer gastrique, de lymphome du
MALT (mucosa-associated lymphoid tissue). Globalement, l’impact
pathologique d’Helicobacter pylori est très important
puisque, en France, on comptabilise
96 000 ulcères par an, plus souvent dans la population masculine,
avec présence de la bactérie dans 90 % des ulcères duodénaux et 70
% des ulcères gastriques. Enfin, Helicobacter pylori
semble être également impliqué dans certaines affections
extradigestives comme l’anémie ferriprive inexpliquée, le purpura
thrombopénique immunologique et le déficit en vitamine B12.
Une histoire très particulière
Ce n’est qu’après la généralisation des endoscopies digestives qu'Helicobacter pylori a pu être mis en évidence au début des années 1980, puis caractérisé et cultivé, grâce à la détermination de deux médecins australiens, Robin Warren et Barry Marshall, qui ont réussi à surmonter de nombreuses difficultés techniques ainsi que le scepticisme de la communauté scientifique internationale, parfois au prix de leur santé. B. Marschall a en effet poussé les investigations jusqu’à ingérer lui-même 30 ml d’une culture de H. pylori provenant d’un patient. Cette expérience lui aura coûté 3 endoscopies, une gastrite, 2 semaines de traitements ainsi que les récriminations de son entourage, mais a ainsi permis d’attester le rôle pathogène de la bactérie. Ce cheminement héroïque a finalement conduit les auteurs à être récompensés, en 2005, par le prix Nobel de Médecine. Il faut dire que la bactérie Gram négatif n’appartenait à aucun genre connu, qu’elle est capable de survivre en milieu acide en raison de la sécrétion d’uréase créant autour d’elle un environnement alcalin. De plus, dotée de flagelles lui permettant de se déplacer dans le suc gastrique et d’une forme hélicoïdale assurant son ancrage dans la paroi de l’estomac, elle colonise facilement l’antre gastrique où elle entraîne des lésions inflammatoires. Ces dernières, associées à l’hyperacidité, peuvent ensuite provoquer un ulcère duodénal ou, plus rarement, un cancer de l’estomac.
Dr Patricia Thelliez
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