
Paris, le samedi 28 novembre 2015 - Corneille sans doute aurait trouvé dans notre médecine moderne une source importante d'inspiration. Les dilemmes ou passion et raison, vie et mort, fidélité aux Dieux (quels qu'ils soient) ou à soi sont brutalement confrontés sont en effet présents chaque jour dans la sphère médicale. Dans la lignée du grand tragédien, avec peut-être moins de superbe, mais non sans talent, les auteurs d'aujourd'hui interrogent ces choix, nous les exposent, dans l'espoir si non d'une catharsis, tout au moins d'une réflexion.
Interruption
Ces choix peuvent naître avant la naissance et c'est un sujet rare au théâtre qui est au centre de la pièce Eugénie, de Côme de Bellescize, présentée au théâtre du Rond Point à Paris jusqu'au 13 décembre. Sarah attend un enfant, très désiré en raison d’une précédente fausse couche. Mais le suivi prénatal révèle que la petite fille, déjà prénommée Eugénie et incarnée sur scène est probablement atteinte d'un handicap dont l'ampleur est difficile à déterminer. La pièce est le spectacle des déchirements intérieurs de cette mère, de ce couple, soumis au chœur des nombreux messagers, incarnant chacun une position : la défense du droit à l'avortement, le désir aveugle d'enfant, la peur. Les répliques ciselées, la mise en scène contribuent à distiller le questionnement y compris chez le spectateur, à peine sauvé de ce malaise par la pirouette finale.
Intervention
Le malaise est également parfaitement dessiné sous la plume de Ian McEwan, dont le dernier roman L’intérêt de l'enfant a été très remarqué. Il suit le chemin de Fiona Maye, juge pour enfants, dont le quotidien est de protéger "l’intérêt de l’enfant" à travers de tristes affaires de divorce. Le cas d’Adam Henry est très différent : l’adolescent de 17 ans, atteint d’une leucémie, refuse les traitements qui pourraient le sauver, en raison de l’appartenance de sa famille aux Témoins de Jeovah. Confrontée à une des plus difficiles épreuves de sa carrière de juge, Fiona choisit de rencontrer Adam Henry, une rencontre décisive tant pour elle que pour le jeune homme. Mais derrière cette description très fine des rapports humains, la question du rôle de la justice, des enjeux de ses choix et des intérêts qu’elle défend, représente l’un des fils conducteurs majeurs du roman.
Introspection
Les dilemmes jalonnent l’existence, d’avant la naissance à l’adolescence, jusqu’à la mort. Madeleine, nonagénaire dynamique et souriante, choisit le jour de ses 92 ans pour annoncer à sa famille, sa volonté, son choix de mourir. Tiré du récit La dernière leçon de Noëlle Chatelet, le film de Pascale Pouzadoux n’est pas le parfait plaidoyer pour le droit de mourir dans la dignité que certains auraient pu attendre. Il faut dire que la vitalité de Marthe Villalonga permet difficilement de comprendre les enjeux de ce désir de mort, même si elle est une belle incarnation de l’amour de la liberté. Le film semble d’ailleurs se concentrer plutôt sur les liens familiaux, bouleversés et ressoudés par cette annonce.
Un choix parmi d’autres.
Théâtre : Eugénie, de Côme de Bellescize, avec la compagnie Théâtre du Fracas, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin-Roosevelt, 75008 Paris, jusqu’au 13 décembre (avant une tournée débutant en janvier)
Roman : L’intérêt de l’enfant, de Ian McEwan, Gallimard, 18 euros, 240 pages
Cinéma : La dernière leçon, de Pascale
Pouzadoux, sortie le 4 novembre 2015, 1h45
Aurélie Haroche