
Paris, le samedi 12 décembre 2015 – Insupportable, méprisant et toujours sarcastique, le Dr House est pourtant quasiment infaillible quand il s’agit de poser un diagnostic complexe. Il est rare que son intelligence clinique lui fasse défaut et laisse les patients sur le bord du chemin. Faut-il pour autant considérer que le Dr House est un "bon" médecin, que sa technicité et sa compétence diagnostique "excusent" son absence quasiment totale d’empathie pour les patients ? Qu’est-ce qu’être un bon médecin : la question a taraudé des générations d’étudiants et de praticiens, pouvant être étonnés de voir certains de leurs patients préférer consulter des confrères pourtant réputés moins « compétents » ou au contraire s’interroger sur la désaffection de malades qu’ils n’ont jamais manqué d’écouter et de tenter de comprendre. La question taraude encore les blogueurs.
Le manque d’empathie peut être "oublié", moins facilement l’absence de technicité
Eternel défenseur de la notion de « bientraitance », Martin Winckler propose dans une note récente de son blog une réflexion sur les liens entre compétence et technicité. Le point de départ de cette réflexion est un tweet de l’écrivain et ancien médecin généraliste qui affirmait : « Un médecin dénué d’empathie n’est pas un professionnel compétent ». Bien sûr cette appréciation n’a pas manqué de susciter des réactions, comme souvent les maximes définitives du blogueur. Un médecin généraliste lui a notamment exposé son point de vue, remarquant que la technicité est sans doute la première des qualités que l’on exige des praticiens et que leur excellence en la matière permet « d’oublier » leur éventuel manque d’empathie. En guise de conclusion de son argumentation, l’interlocuteur de Martin Winckler donne pour exemple « l'obstétricien qui a mis ma fille au monde, un type extraordinaire pour faire des forceps, mais totalement dépourvu d'empathie, une terreur pour les étudiants. Finalement je lui suis reconnaissant que tout se soit bien passé, on lui demandait de la technique et de l'efficacité, le reste est oublié ».
Des médecins pas nécessairement bons juges de ce qui fait un "bon" médecin
Intéressé par cette réflexion, Martin Winckler s’emploie à y répondre longuement sur son blog L’école des soignants. D’abord, il remarque que les médecins ne sont probablement pas les meilleurs juges pour déterminer si la technicité seule peut suffire pour faire un "bon" médecin. Les praticiens, quand ils sont patients ou proches de patients, même s’il s’agit d’une position délicate à certains égards, bénéficient d’un certain nombre de connaissances qui permettent de faciliter le dialogue. « Quand vous parlez de l’obstétricien qui a mis au monde votre fille en disant qu’au fond, vous lui demandiez d’être efficace, un point c’est tout, vous oubliez un élément crucial : vous n’étiez pas un patient (un parent, un conjoint) comme les autres : vous disposiez de tout ce qu’il fallait pour questionner et comprendre – et pour traduire à vos proches – ce que cet obstétricien ne disait pas. Vous pouviez compter sur lui (via la confraternité) pour effectuer des gestes que vous n’auriez pas voulu faire vous-même. (Et on peut le comprendre.) Vous étiez heureux qu’il n’éprouve pas à l’égard de votre épouse les émotions (la peur, l’angoisse) que vous-même éprouviez. Enfin, vous vous sentiez libre de lui poser toutes les questions qui vous venaient à l'esprit. Or, pour poser des questions, il faut déjà connaître une grande partie de la réponse. Pour les patients qui ne disposent pas du même savoir, et dont les angoisses ne peuvent pas être atténuées par la seule "technicité" du praticien, il en va tout autrement » résume Martin Winckler, qui remarque qu’en cas de complication, l’absence d’empathie de l’obstétricien aurait sans doute été appréciée différemment.
Une déontologie qui n’oublie pas l’empathie
Outre la difficulté pour un médecin de « juger » de l’importance de l’empathie pour évaluer la « compétence » d’un praticien, Martin Winckler remarque que le code de déontologie accorde la même importance à la compétence technique (en sanctionnant le charlatanisme à l’article 39) et au devoir d’écoute, de conseil et de soutien (à l’article 7). « Serait-il moins grave de négliger les devoirs énoncés tôt dans le Code, que l’obligation de compétence technique, énoncée après eux ? » s’interroge Martin Winckler.
L’empathie n’est pas toujours payante
Le blogueur bien sûr ne nie pas l’importance de la technicité, mais estime qu’elle ne peut pas être considérée comme une condition suffisante. « Laisser entendre que l’absence de qualités relationnelles est compatible avec la délivrance des meilleurs soins, c’est nier toute la dimension relationnelle de la profession médicale » juge-t-il. Le praticien élargit par ailleurs sa réflexion en notant que l’importance prégnante accordée à la technicité est probablement liée au fait que les qualités relationnelles ne sont nullement « rémunérées ». « On est donc devant la situation suivante : d’un côté, les "techniciens" de la médecine n’éprouvent aucun besoin d’être dotés de qualités relationnelles (ni même de s’associer à des personnes qui en ont) pour être considérés comme compétents ; ils peuvent, s’ils le souhaitent, gagner grassement leur vie sans se préoccuper du confort moral des patients. De l’autre, les praticiens qui choisissent de consacrer aussi leur énergie à l’information et au confort moral de leurs patients ne sont ni reconnus, ni soutenus, ni rémunérés. On comprend que les premiers ne fassent aucun effort, et que les seconds soient tentés de laisser tomber l’empathie, voire de décrocher tout à fait » constate-t-il.
Tous bien sûr ne partageront pas l’analyse de Martin Winckler et continueront à défendre l’idée que la technicité passe avant l’empathie. Pour en débattre, ils pourront lire in extenso les observations du praticien ici : http://ecoledessoignants.blogspot.fr/2015/11/un-medecin-bon-technicien-peut-il-etre.html
Aurélie Haroche