
Paris, le samedi 23 janvier 2016 – Si le suicide du professeur Jean-Louis Mégnien le 17 décembre dernier à l’Hôpital Européen Georges Pompidou soulève tant d’émotions, c’est aussi parce qu’il a révélé au grand jour l’existence, dans de très nombreux établissements hospitaliers, de querelles intestines qui font le lit de véritables harcèlements et d’une profonde souffrance au travail. La dimension affective d’un tel drame ne doit cependant également pas être oubliée : chaque médecin peut se sentir meurtri par un tel suicide, peut s’interroger sur ce qui pousse ceux qui soignent à choisir de mettre fin à leur jour. Avant d’être un père (de cinq enfants dans le cas de Jean-Louis Mégnien), un époux, un médecin qui meurt reste d’abord un praticien dans l’esprit de ses patients et de ses confrères. Et c’est ainsi qu’a été honorée la mémoire de Jean-Louis Mégnien le 6 janvier dernier lors de ses obsèques, comme l’évoque pour nous le professeur Bernard Granger.
Pr Bernard Granger *
Les obsèques de Jean-Louis Mégnien se sont déroulées le 6 janvier dernier avec recueillement, affliction et gravité, mais aussi colère et indignation. Les amis et les collègues de Jean-Louis entouraient de leurs bras affectueux Sophie, sa femme, Nicolas, Aurélie, Emilie, Camille, Manon, ses cinq enfants, sa mère et toute sa famille. Plusieurs hommages émouvants et sobres ont souligné les grandes qualités humaines et scientifiques de ce praticien hors pair, chéri de ses patients. Son sens de l’amitié, son amour de la vie et ses accomplissements professionnels ont été unanimement salués. Avant de nous disperser, nous avons écouté les yeux baignés de larmes un air de guitare dont la mélodie lointaine et mélancolique a bercé la fin de cette fervente cérémonie d’adieu.
L’hommage appuyé des patients
Voici deux extraits des hommages prononcés par les amis de
Jean-Louis Mégnien lors de ses obsèques, le premier dû au
professeur Philippe Halimi, le second à un autre proche :
« Tu étais un grand professionnel. Depuis ce jour
funeste, un nombre incalculable de témoignages de tes chers
patients nous sont parvenus. Ils nous disent tous que tu avais leur
confiance, ils louaient tes compétences, ta qualité d’écoute, ta
bonté. L’une de tes patientes, âgée de 85 ans, et que tu suivais
depuis plus de 20 ans a dit récemment sa peine à l’un de nos
collègues orthopédistes; aujourd’hui, elle est tout à la fois
désemparée, mais aussi en colère et révoltée, comme nous le sommes
tous, face à ce qui est survenu. (…) Jean-Louis, merci
pour ce que tu nous as apporté. Ton combat pour pouvoir exercer ton
art au service des patients n’aura pas été vain. Il nous servira
dorénavant d’exemple, il nous fera meilleurs et combatifs, face à
ceux pour qui le sens de l’équité et la bientraitance ne
représentent rien. (…) Jean-Louis, la flamme qui t’animait ne s’est
pas éteinte le 17 décembre. Tu nous l’as transmise pour qu’elle
brûle en nous, comme elle continuera à brûler chez Sophie et chez
vos enfants. »
Un combat à mener
« Cher Jean Louis, le 17 décembre tu es parti tout seul sans rien dire à personne. Pourtant… Tu aimais plus que tout ta belle et grande famille. (…) Pourtant… Tu étais fier de ta réussite professionnelle et tu aimais ton métier. (…) Tu avais mis ton intelligence hors du commun au service des étudiants, tu débordais d’idées novatrices pour améliorer sans cesse leur formation , idées que tu partais défendre avec enthousiasme à l’autre bout de Paris sur ta moto magique qui te permettait presque toujours d’être à la même heure à trois endroits différents, pour peu que ce soit marqué sur ton itruc… Tu avais mis ton dévouement au service de tes patients qui t’adoraient, te touchaient parfois en te racontant l’histoire de leur vie et donnaient du sens à ton métier. Seulement voilà, sur ton chemin professionnel, la perversité, le machiavélisme, et surtout l’injustice, à l’égard des autres mais aussi de toi-même ont heurté jusqu’à l’insupportable ta sensibilité à fleur de peau et les belles valeurs de justice et d’humanisme que tu portais. C’est cette souffrance qui t’a peu à peu éloigné de tous ceux qui t’aimaient, que tu aimais et qui sont venus aujourd’hui te dire au revoir aux côtés de Sophie, Nicolas, Aurélie, Camille, Emilie, Manon, Françoise , Cathy et de toute ta famille. Cette terrible souffrance que tu nous disais ces derniers mois qui t’envahissait pour ne plus jamais laisser de place au moindre réconfort. Le 17 décembre cette souffrance, nourrie des nouvelles perversités que tu as découvertes dès ton retour, ne t’a pas laissé d’autre issue que d’en finir avec toi pour en finir avec elle. Tu es aujourd’hui en paix, c’est tout ce qui peut apaiser notre chagrin. Pour apaiser notre révolte, il faudra moins de perversité, moins de machiavélisme, moins d’injustice pour ceux qui souffrent et te survivent. Nous nous y employons, parce qu’il n’y aurait rien de pire que nous t’ayons, cher Jean Louis, perdu pour rien. »
*Université René Descartes
Les intertitres sont de la rédaction du JIM