Vécu

Paris, le samedi 30 janvier 2016 – Ici même, la semaine dernière, nous évoquions comment la "réalité" est souvent la matière de prédilection des artistes pour nous forcer à l’interrogation. Cependant, ce n’est pas sans transformation que cette réalité nous est restituée. Parfois, cette transformation est absente. Devant nos yeux et nos oreilles c’est une histoire vécue dans leur chair que les auteurs, chanteurs et cinéastes veulent nous offrir. Non sans cependant qu’un filtre nous les présente dans leur singularité. Ce peut être celui de la poésie. Elle est entière dans J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd. Ce témoignage de Laetitia Carton est une promenade dans l’univers des sourds-signeurs. La réalisatrice l’a conçu comme une lettre à son ami Vincent, disparu il y a une dizaine d’années et qui lui avait enseigné la langue des signes. Le film décrypte les avancées réalisées depuis dix ans (la langue des signes devenue une option au bac, la création d’un CAPES langue des signes), les bastions de résistance (avec l’immersion dans une classe spécialisée près de Toulouse) mais également les reculs et les inquiétudes de certaines familles. Il ne s’agit cependant pas d’une œuvre enragée de militante, mais d’une invitation à la découverte pour faire comprendre toute la sensibilité de cette langue si particulière.

Sang

La musique en est une autre, parfaitement maîtrisée par Mathias Malzieu, qui anime depuis une vingtaine d’années le groupe de musique Dionysos. Aussi était-il tout naturel qu’enfermé dans sa chambre stérile, il ait d’abord songé à la musique pour lui tenir compagnie dans l’épreuve. Le chanteur et musicien a en effet été touché par une aplasie médullaire qui l’a conduit dans une chambre stérile pendant plusieurs mois et qui lui a soufflé un album très personnel Vampire en pyjama. Plus posées que dans les précédents albums, les mélodies et les paroles décrivent la découverte de la maladie, les inquiétudes, les rencontres et les leçons tirées de cette épreuve. Rarement un album aura été aussi autobiographique, mais sa portée n’en est pas moins universelle.

Cent pour cent

Le filtre pour livrer une histoire vécue est également bien souvent celui de l’amour. Dans Pluie de joie, récit de Patricia Delmée, il est palpable à chaque page. Nous y découvrons la vie de Fiona, née infirme moteur cérébrale que sa mère a soutenue, accompagnée, portée pendant 17 ans avant que la jeune fille s’éteigne. Patricia évoque ses combats, les progrès de la jeune fille pour communiquer, les partages et aussi les instants de solitude et de désespoir. La sincérité du témoignage tient à ce qu’il n’élude pas les difficultés et qu’il permet d’espérer avec la mère et la fille, même si la fin n’est pas ignorée.

Sens

Une autre mère a elle aussi évoqué récemment les obstacles dressés sur son chemin, en tant que parent d’un enfant atteint d’autisme. La journaliste Eglantine Eméyé a signé avec Le voleur de brosse à dents un livre qui n’a pas laissé indifférent. Allant à revers de la tendance actuelle, la jeune femme dit en effet n’avoir rien rejeté des différentes méthodes existant, y compris psychanalytiques, susceptibles d’aider son fils, qui ne parle pas et communique très peu avec son entourage. C’est un livre de colère contre ceux qui jugent, ceux qui ferment les yeux et ceux qui s’indignent sans avoir touché du doigt un tel vécu.

Cinéma : J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd, de Laetitia Carton, 20 janvier 2016, 1h45

Musique :

Vampire en pyjama, Dionysos, Columbia Sony Music, associé à un livre récit Journal d'un Vampire en Pyjama, de Mathias Malzieu (Albin Michel)

Livre :

Pluie de joie, Patricia Delmée, Sudarenes, 200 pages, 18 euros

Le voleur de brosses à dents, Eglantine Eméyé, Robert Laffont, 288 pages, 20 euros

Aurélie Haroche

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