Plusieurs études ont montré qu’outre l'accumulation passive des toxines urémiques dans les néphropathies chroniques, liée à la réduction de l’élimination rénale, la production de ces toxines urémiques est également fortement influencée par la composition du microbiote intestinale. Cette interaction entre la production intestinale de toxines urémiques et l'excrétion rénale a permis de définir un nouvel axe « intestin-rein » qui pourrait jouer un rôle majeur dans les complications cardio-vasculaires associées à la maladie rénale chronique.
Cette augmentation de production est la conséquence de plusieurs facteurs :
- une diminution de l’efficacité d’assimilation des protéines
dans l'intestin grêle avec augmentation d’afflux de protéines dans
le gros intestin,
- une dysrégulation des bactéries saccharolytiques avec
augmentation de quantité de bactéries protéolytiques dans le côlon
suite à cette augmentation d'afflux,
- la présence d’une dysbiose (et notamment de certains pathobiotes)
favorise la transformation colique en toxines urémiques des acides
aminés tels que le tryptophane, la tyrosine ou des composés issus
de la viande rouge comme la L-carnitine et la phosphatidylcholine
(plus connu sous le nom de lécithine) ou encore la trimethylamine
N-oxide,
- une dysrégulation de la flore microbienne avec prolifération des
pathobiotes.
A côté de la production des toxines urémiques, la dysbiose pourrait
participer aussi à la dysrégulation immunitaire et à l'inflammation
dans la maladie rénale chronique. La forte présence de pathobiotes,
associée à une augmentation de production et d'absorption des
lipopolysaccharides active en effet les cellules immunitaires
innées et conduit à la synthèse de cytokines pro-inflammatoires
participant à la dysfonction endothéliale et aux lésions
d'athérosclérose.
Par ailleurs, l'augmentation observée des Fimicutes, parallèle à la diminution des Bacteroidetes au cours de la maladie rénale chronique, pourrait être impliquée dans la résistance à l'insuline et à la dyslipidémie associée à la maladie rénale chronique.
Dans ce contexte, et devant les limites des stratégies visant à réduire la concentration des toxines urémiques, les thérapies permettant la modulation directe du microbiote intestinal tels que les pro- ou prébiotiques, ou le transfert de flore intestinale, ont émergé comme des stratégies intéressantes pour réduire la production des toxines urémiques et les complications cardio-vasculaires.
Cependant, il ne s’agit encore que de résultats préliminaires encourageants. La difficulté de l’utilisation de probiotiques, ou des transplantations fécales, réside en effet dans ce que l’urémie en soi crée un milieu défavorable pour l’implantation d’un nouveau microbiote. De quoi se pencher sur des techniques qui permettent de mieux moduler l'équilibre biochimique de l'intestin (prébiotiques par exemple) ?
Dr Dominique-Jean Bouilliez