Genève, le mardi 2 février 2016 – Très critiquée pour n’avoir pas su prendre suffisamment tôt la mesure de l’épidémie d'Ebola en Afrique de l’Ouest en 2014, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) paraît soucieuse de ne pas être de nouveau ainsi prise en défaut.
Aussi, face à l’épidémie de Zika qui sévit actuellement dans plus d’une vingtaine de pays d’Amérique du Sud et qui pourrait toucher entre 3 à 4 millions de personnes, l’agence onusienne a convoqué une réunion exceptionnelle de son comité d’urgence. Celui-ci a hier estimé que nous étions face à une « urgence de santé publique de portée mondiale ». Si le Zika est très loin de présenter une létalité aussi importante qu’Ebola, ce qui suscite cette inquiétude marquée est le lien probable entre ce virus et le risque de microcéphalie. Si l’OMS rappelle que le lien entre la forte augmentation des cas de microcéphalie en Amérique du Sud et le virus n’est pas encore « prouvé scientifiquement », il est fortement suspecté. « Les microcéphalies peuvent relever de plusieurs causes, notamment toxiques, génétiques ou infectieuses. Mais au Brésil, la corrélation de l’excès de cas avec l’épidémie d’infection à Zika, dans le temps et dans l’espace, est très suggestive d’un lien de cause à effet » constate de son côté Jet de Valk, responsable de l’unité zoonoses et maladies à transmission vectorielle au sein de l’Institut national de veille sanitaire (INVS).
Un contexte inquiétant, des complications très probables
De même concernant le risque de développer un syndrome de Guillain-Barré, « il y a suffisamment de coïncidence dans l’espace et dans le temps pour dire qu’il y a clairement une relation » a indiqué lundi le ministre de la Santé Colombien, Alejandro Gaviria. Aussi, au vu de ces complications spécifiques, de l’importante zone géographique dans laquelle évoluent les moustiques vecteurs du virus (moustiques qui pourraient par ailleurs être plus nombreux sous l’effet de phénomènes climatiques, tel El Nino), de l’absence de traitement ou de vaccin et du « manque d’immunité de la population dans les pays nouvellement touchés », ce niveau de vigilance s’impose, insiste l’OMS. Cette dernière cependant n’a pas repris à son compte les recommandations de restriction de voyage aux femmes enceintes adressées ces derniers jours par les autorités sanitaires de nombreux pays.
Femmes enceintes : persona non grata au Brésil
En effet, après la France déconseillant aux femmes enceintes d’éviter les voyages dans les zones touchées, le Brésil les a invitées hier à ne pas se rendre dans le pays. Il faut dire que les autorités sanitaires comptabilisent désormais près de 3 500 cas suspects de microcéphalie et 270 parfaitement confirmés, contre moins de 150 les années précédentes. Alors que la lutte contre le moustique s’est encore intensifiée ces derniers jours et que tout est mis en œuvre pour éviter l’annulation des Jeux Olympiques (que la présidente a exclue), des experts considèrent que le virus Zika a probablement été introduit au moment de la coupe du monde de football, via un visiteur venant d’Afrique ou d’Océanie où le virus est endémique.
Consultation spécialisée à Necker
Les femmes enceintes suscitent au Brésil et dans l’ensemble des pays d’Amérique du Sud touchés la plus grande attention. La liste des pays recommandant de différer les projets de grossesse ne cesse par ailleurs de s’allonger : la Colombie, le Salvador, l’Equateur, le Brésil, la Jamaïque et Porto Rico (territoire associé aux Etas-Unis) ont diffusé de tels messages à la population (dans des régions où l’accès à la contraception est souvent marginal). Dans les pays européens et plus encore en France en raison de ses départements et territoires d’outre mer, la vigilance est également marquée. Ainsi, six femmes enceintes ayant été infectées par le virus en Martinique font aujourd’hui l’objet d’une surveillance rapprochée, comme le précise Martine Ledrans, responsable de la cellule de l’INVS Antille Guyane au Monde. En métropole, face à l’afflux d’appels de femmes enceintes de retour de voyage dans les zones touchées, une consultation spécialisée a été ouverte par le professeur Yves Ville à l’hôpital Necker.
Un test de détection attendu
Cet état d’urgence a entraîné immédiatement une accélération de la recherche. Les laboratoires Sanofi Pasteur ont ainsi annoncé hier répondre à « l’appel mondial pour le développement d’un vaccin contre le virus Zika ». Cependant, malgré cette mobilisation de l’industrie pharmaceutique et des unités de recherche du monde entier, les experts estiment qu’il faudra sans doute attendre plusieurs années avant de pouvoir disposer d’un vaccin efficace. Plus rapide sera sans doute la mise au point d’un test de détection fiable, essentiel notamment pour les femmes enceintes. « Les tests dont on dispose peuvent [conduire] à des « faux positifs » en cas d’infection par la dengue ou le chikungunya dans des pays où les trois infections peuvent circuler. On travaille donc à établir un test diagnostic simple et efficace » précise dans Libération, Arnaud Fontanet de l’Institut Pasteur.
Aurélie Haroche