
Rio, le mardi 16 février 2016 – Si le virus Zika est loin de représenter l’unique préoccupation des Brésiliens et au-delà des Sud-Américains, il fait cependant peser une épée de Damoclès sur les femmes enceintes. Dans des pays où la suspicion vis-à-vis des autorités politiques est souvent marquée (encore plus qu'en France) et alors que les informations disponibles manquent parfois de clarté, les ingrédients favorables à la naissance de rumeurs et suspicions semblent réunis.
Entre zéro et plusieurs milliers
Ainsi, beaucoup s’interrogent sur le lien entre microcéphalie et l’infection par le virus Zika. Nous avions déjà évoqué les questionnements des scientifiques sur ce sujet dans nos colonnes, ces derniers remarquant notamment que depuis son identification il y a soixante dix ans, les complications fœtales du virus n’ont jamais été décrites jusqu’à l’épidémie survenue en Polynésie en 2013-2014. Au sein de la société, les interrogations sont confortées par l’absence de stabilité des chiffres présentés. Les autorités brésiliennes évoquent en effet un nombre de cas oscillant entre quelques dizaines à plusieurs milliers, tandis que les spécialistes de la naissance évaluent le risque de microcéphalie chez l’enfant à naître d’une femme infectée par le Zika entre 0,1 et 16 % ! Ces incertitudes sont en partie liées à la complexité du diagnostic de microcéphalie qui doit répondre à différents critères, qui ne sont pas toujours parfaitement remplis complètement (même si des suspicions demeurent). Les examens de biologie et d'imagerie nécessaires à l’exploitation de chaque cas expliquent la diversité des chiffres présentés qui ne font pas toujours la part entre cas suspects et cas confirmés (qui demeurent relativement peu nombreux pour l’heure). Les difficultés de cette veille épidémiologique et de la communication permettent de comprendre que certaines régions n’ont pour l’heure recensé aucun cas de microcéphalie (comme la Colombie pourtant très touchée par le Zika) et d’autres en suspectent des milliers (comme le Brésil).
Eau contaminée
Ce contexte favorise l’émergence de nouvelles théories sur la progression probable des microcéphalies. D’abord, certains ont évoqué la responsabilité d’un lot défectueux de vaccins contre la rubéole qui aurait été distribué dans une des régions du Brésil les plus touchées par la hausse des microcéphalies.
Cette thèse a bientôt été repoussée mais est aujourd’hui
remplacée par une autre hypothèse qui est plus largement commentée.
Un pédiatre argentin de Cordoba, Avila Vazquez s’intéresse au rôle
du larvicide pyriproxyfène, commercialisé par Sumitomo Chemical,
entreprise partenaire de Monsanto.
Ce larvicide est largement utilisé dans certaines zones du Brésil pour luter contre Aedes aegypti. Le pédiatre estime que la consommation d’eau contaminée par le pyriproxyfène par les femmes enceintes pourrait être à l’origine des microcéphalies déplorées aujourd’hui.
Des preuves de plus en plus solides
Cette hypothèse, si elle est largement reprise par la presse brésilienne et internationale, est cependant fragile.
D’abord, parce que plusieurs localités n’ayant jamais utilisé le pyriproxyfène sont concernées par la progression des cas de microcéphalies.
Ensuite parce que la corrélation entre le recours à ce moyen de lutte contre le moustique et l'anomalie doit être observée avec prudence : il existe nécessairement une concomitance, même limitée dans le temps, entre l’emploi de mesures préventives et le développement de ce que l’on cherche à éviter. Ainsi la prise d'hypolipémiants est associé à un risque cardiovasculaire élevé sans en être la cause.
Par ailleurs, le lien entre ce larvicide et des malformations fœtales n’a jamais été rapporté précédemment.
Enfin et surtout des preuves de plus en plus solides du lien entre microcéphalie et le virus Zika sont aujourd’hui publiées (éléments qui ne pouvaient être connus d’Avila Vazquez quand il a pour la première fois présenté sa thèse il y a quelques jours). Comme nous l’indiquions hier, le virus Zika a en effet été retrouvé dans le liquide amniotique de deux femmes enceintes porteuses d’un fœtus microcéphale, tandis que le génome du virus a été mis en évidence dans le tissu cérébral du fœtus microcéphale d’une femme slovène infectée pendant sa grossesse par le virus Zika.
Pollution chimique
L’ampleur prise par la rumeur a contraint le ministère de la Santé brésilien à rappeler hier qu’« il n’existe aucune étude épidémiologique démontrant une association entre l’utilisation de pyriproxyfène et la microcéphalie. Le ministère de la santé utilise uniquement des larvicides recommandés par l’OMS ». Cette mise au point pourrait ne pas suffire à apaiser les rumeurs, favorisées par le rejet par une partie de la population brésilienne des produits de l’industrie chimique, dont beaucoup estiment qu’ils sont imposés sans réel débat démocratique.
Le rôle joué par les insecticides dans l’émergence de moustiques ou de virus résistants/mutants ne peut par ailleurs pas être écarté.
Aurélie Haroche