L’urgence était-elle si peu urgente ?

Paris, le samedi 27 février 2016 – Une tendance sur les blogs de professionnels de santé vise à réhumaniser les relations soignant/malade. L’augmentation de la charge de travail, la technicisation de nombreux actes, le poids croissant du consumérisme et l’accès large à des informations hier à diffusion restreinte ont favorisé les exigences et un nouveau discours des patients. Aussi, aujourd’hui, les liens entre les médecins et les malades laissent plus de place à une certaine défiance (réciproque) et au désir de se protéger. Les urgences représentent un lieu emblématique de ces nouveaux rapports où l’empathie et la recherche de la compréhension de l’autre se sont éloignées. L’organisation de ces services et la multiplication des demandes sont telles qu’il paraît difficile d’accorder une écoute empreinte de la même bienveillance et sollicitude pour tous les malades, surtout quand il apparaît que ces derniers ne présentent nullement une urgence justifiant le recours à un service hospitalier.

Les intuitions et inquiétudes des malades

Cependant, sur les blogs, des médecins, étudiants, infirmiers appellent leurs confrères à modifier leur regard. A oublier les longues journées de travail, les exigences parfois absurdes des malades, les incohérences du système. Ils invitent à se rappeler que derrière chaque patient s’inscrit une histoire, une souffrance particulière que l’interrogatoire et l’écoute du médecin doivent décrypter afin de mieux déterminer les raisons de la consultation. C’est le propos récent de l’étudiant en médecine auteur du blog Litthérapie. Face à ceux qui s’escriment contre les patients utilisant les urgences quand les soins de premier recours suffiraient, il fait remarquer que certaines angoisses ou intuitions ne se commandent pas. Il cite par exemple les femmes enceintes présentant des saignements qui sont toujours poussées (par leurs proches et leurs propres inquiétudes) à se rendre aux urgences. Il évoque encore ceux que des symptômes inhabituels alertent et qui en dépit d’un tableau peu alarmant peuvent cacher des situations médicales effectivement urgentes. « Je me souviendrais surement toute ma vie d’une femme d’une cinquantaine d’années, assez forte, qui est arrivée pour, d’après le motif recueilli à l’accueil "angoisse et peur de faire un AVC car plusieurs AVC dans sa famille" : triée 3 (c’est-à-dire que son pronostic vital ne serait pas en jeu et qu’il semble acceptable de laisser passer jusqu’à 90 min avant de la voir), en période de forte affluence. Je vais la voir, elle me décrit des fourmillements sur l’hémi-corps gauche et l’hémi-face droite. Elle présente un déficit moteur discret mais indiscutable des membres à gauche, entre autres. Elle ne cesse, tout au long de l’examen, de s’inquiéter de savoir si ce n’est pas un AVC. Au secours l’interne, allo le neurologue, appelez-moi le scanner, direction neuro-chirurgie. Verdict : AVC » raconte-t-il. A propos de ce type de cas, il est probable que la plupart des praticiens reconnaissent que le choix du patient de recourir aux urgences ne peut être totalement critiqué.

Ce qu’une demande incongrue peut cacher

Mais il est de nombreuses situations où les motivations du patient sont plus difficiles à cerner, d’autant plus lorsque la salle d’attente est comble et la journée (ou la nuit) avancée. L’auteur de Litthérapie en évoque plusieurs : « J’ai bien été voir une dame de soixante ans qui consultait pour "constipation depuis deux ans, majoration ce jour". J’ai rencontré des gens qui se présentent pour "avoir un arrêt de travail" ou "a un rhume depuis trois jours et à ça ne passe pas"». Comment face à de tels motifs refreiner un moment d’impatience ? L’étudiant en médecine invite à considérer que derrière chaque recours apparemment injustifié voir abusif, d’autres considérations, d’autres souffrances sont en jeu. Ce peut-être la peur de manquer ses examens si le rhume se prolonge, la gêne de se présenter devant son médecin traitant (dans le cas d’infections sexuellement transmissibles par exemple) ou encore le désir  sous-jacent d’évoquer d’autres symptômes ou d’autres difficultés (familiales, conjugales, professionnelles).

Idéalisme

Une telle analyse est sans doute pertinente mais le manque de temps aux urgences empêche le plus souvent ce type d’investigations. L’auteur de Litthérapie en est conscient mais demeure idéaliste : « Je sais que beaucoup de mes collègues étudiants ne comprennent pas que ça me rend furieux, parfois, qu’on considère que certains motifs valent plus que d’autres et que les gens sont vraiment bêtes d’aller aux urgences pour si peu. Je sais qu’on s’engueule parfois, parce que je campe un peu mes positions, même si je reconnais certains de leurs arguments comme très pertinent : "mais si on reçoit tout le monde sans rien dire, après les gens ne feront plus l’effort d’aller chez leur médecin généraliste, ils iront directement aux urgences puisque de toute façon ils sont soignés, société de consommation dans l’immédiateté, etc. "… » conclue-t-il en espérant cependant que ses prises de position puissent modifier certaines habitudes et a priori.

Une réflexion a lire in extenso sur le blog Litthérapie :
https://littherapeute.wordpress.com/2016/02/13/il-y-a-urgence-aux-urgences/

Aurélie Haroche

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions (1)

  • Fausse urgence

    Le 27 février 2016

    L'urgence qui n'en est pas, fait exprès de bénéficier souvent d'un transport gratuit par les pompiers, et fait perdre un temps précieux au médecin urgentiste. ( le rhume qui traîne, la perte blanche, la diarrhée ou constipation etc ...).
    Tout ça pour ne pas payer une consultation chez le médecin traitant ou le gynéco ( accès direct ) !
    Ces personnes qui encombrent inutilement les files d'attente devraient être réorientées vers ces confrères, qui sont tout aussi capables de les examiner "en urgence".

    Dr Patrick Gadras

Réagir à cet article