Former des médecins et professionnels de santé compétents et humains*

Paris, le samedi 27 février 2016 – Les failles de la formation initiale des médecins sont observées depuis plusieurs années et concernent notamment le numerus clausus, instrument de régulation qui non content de manquer son objectif entraîne dans l’échec des centaines d’étudiants chaque année. Plus récemment, l’évocation du cas d’une poignée d’internes franciliens s’étant révélés largement incompétents dès leurs premiers jours de stages a mis une nouvelle fois en lumière les imperfections du système des épreuves classantes nationales.

Nouveau président de la conférence des doyens des facultés de médecine, le professeur Jean-Luc Dubois Randé, doyen de la Faculté de médecine de Créteil établit un diagnostic de la situation actuelle, qui ne se cantonne pas à l’organisation des études médicales mais qui s’imprègne également des attentes et évolutions de la société. Il dessine par ailleurs les pistes de traitement possibles et considère que le dialogue conduit aujourd’hui avec les représentants des étudiants en médecine offre la promesse d’une rénovation prochaine.

Par le professeur Jean-Luc Dubois-Randé, doyen de la Faculté de Médecine de Créteil

Les Français expriment régulièrement leur attachement à leur système de santé jusqu’à le considérer parfois comme le "meilleur au monde". Ce bilan plutôt positif coexiste avec des indicateurs moins favorables. L’accès aux soins est une préoccupation de nombreux français et la désertification de certaines aires rurales ou péri-urbaines devient un enjeu central et interroge la capacité du système de formation à fournir à la population les professionnels dont elle a besoin, là où elle en a besoin. Les inégalités sociales de santé ne régressent pas et traduisent probablement l’orientation fortement curative et faiblement préventive de notre système de santé.

La formation, en particulier des médecins, est un exercice de long terme et nécessite d’intégrer les évolutions à venir dans toute réflexion prospective. On peut entrevoir deux évolutions majeures : l’explosion de l’utilisation des données issues de l’étude du génome pour le développement d’une médecine personnalisée, des patients, de mieux en mieux informés et soucieux d’être acteurs de leurs soins, mais qui nous rappellent l’importance qu’ils attachent aux aptitudes relationnelles et à l’empathie des professionnels de santé à leur égard.

La “bonne vieille sacoche” du médecin de famille : une représentation dépassée

Un défi majeur pour les facultés de médecine car le recrutement et la formation des professionnels de santé doivent s’adapter à la révolution technologique et intégrer l’émergence sociétale des maladies chroniques avec pour corollaire la priorité donnée au champ de la prévention. La formation hospitalière dominante ne répond pas aux enjeux des soins de premier recours qui n’est plus conforme à la réalité traditionnelle du médecin de famille "avec sa bonne vieille sacoche", comme seul outil et viatique.

L’entrée dans les études médicales est considérée comme un obstacle parfois infranchissable par des jeunes très motivés et titulaires d’un baccalauréat avec mention. Ils sont issus majoritairement des couches les plus  favorisées  de notre  société et sont confrontés à une première année de concours très sélective, la PACES (Première Année Commune des Etudes de Santé) qui mène aujourd’hui à quatre filières classiques (médecine, pharmacie, odontologie et maïeutique) avec, au final et à l’issue d’un redoublement pour la majorité d’entre eux, un fort pourcentage d’échec et d’exclusion des études de santé.

Le Numerus clausus : un filtre dépassé

Le Numerus Clausus est un filtre inadapté car inefficace et contourné. Il est censé réguler le nombre et la répartition des médecins sur le territoire et a éliminé des générations d’excellents étudiants. Le vécu  négatif  de  nos  concitoyens  alimente une incompréhension des choix politiques dans  ce domaine. Ainsi, sur le terrain, alors qu’on manque de médecins, on favorise le recrutement de médecins étrangers, certains imparfaitement francophones, dont les compétences n’ont pas été évaluées avec l’exigence sélective requise pour nos étudiants nationaux. De plus, il est possible de contourner la PACES par une inscription dans une autre université européenne et en fin d’étude de passer l’Examen Classant National, sans note éliminatoire, et exercer la responsabilité d’interne en spécialité.

Le numerus clausus dans sa forme actuelle n’est plus de mise et doit être abandonné. Il n’est ni un régulateur fiable de la démographie médicale, ni un outil efficient de répartition territorial des futurs médecins et apparaît être inéquitable en regard de son contournement. Seule la limitation du nombre des étudiants basée sur le maintien de la qualité de la formation et donc des capacités pratiques d’accueil est légitime. La Première Année Commune des Etudes de Santé doit être moins spécialisée et élargir le socle des programmes  pédagogiques en insérant des enseignements communs à d’autres programmes de Licences de l’université dans la logique d’un vrai parcours universitaire  Licence, Master, Doctorat. Cela  doit conduire à fluidifier l’entrée en 2e année de diverses licences d’étudiants qui n'intégreront pas les filières santé classiques de médecine, maïeutique, pharmacie, odontologie. La sélection pourrait, dès lors, s’organiser sur une seule année universitaire au décours de laquelle les étudiants pourront progresser soit en rejoignant les filières classiques, soit par leur entrée dans un parcours universitaire leur permettant d’accéder à d’autres professions dont de nouvelles filières de santé préparant à de nouveaux métiers. Dans le même esprit, il faut favoriser l’entrée dans les filières classiques, d’étudiants venant d’autres formations de l’université afin d’assurer une diversité de recrutement, de milieux sociaux et donc au final une richesse professionnelle. Les terrains de stage doivent se diversifier et sortir du tout hospitalier pour se former à l’exercice de la médecine générale. La formation et la valorisation des maîtres de stage et le positionnement des maisons de santé pluri-professionnelles à qualification universitaire sont des clés de reconquête des territoires.

Examen classant national : des écueils à dépasser

L’Examen Classant National (ECN) ne doit pas être seule finalité gouvernant l’objectif de formation de l’ensemble du 2e  cycle étouffant ainsi les possibilités de personnalisation de l’orientation des étudiants. La formation doit veiller  à développer  l’aptitude à un exercice  pluri-professionnel  en équipe avec délégation de certaines  tâches. Ces exigences  nous amènent  à proposer que les étudiants nationaux, européens, et internationaux valident tous l’examen de fin d’études du 2e cycle avec oral, permettant l’attribution d’un certificat de compétences cliniques ouvrant droit à présenter l’ECN, évitant ainsi que des étudiants, d’où qu’ils viennent, peu compétents, accèdent à la responsabilité de malades.

Ces objectifs sont-ils réalistes ? De fait, la communauté des facultés de médecine et les étudiants n’ont jamais été aussi proches d’une cohérence d’analyse et de proposition. Le premier retour des expérimentations  sur  la  diversité  des  modes  d’entrée dans le cursus médical atteste de leur faisabilité. L’attente sociétale est telle qu’elle nous oblige à une réponse dynamique. Le politique doit ainsi impulser la mise en place de "composantes santé" au sein des universités. La mission séculaire des facultés de médecine est bien sûr de former des médecins mais leur vocation sociétale les amène à ouvrir leur champ de compétences par des partenariats offrant des formations conjointes aux métiers classiques et nouveaux de la santé. Le savoir et le savoir-faire ne peuvent être séparés d’un savoir-être avec ce qu’il exige d’initiation aux sciences humaines et sociales et d’entrainement au questionnement éthique préalable à tout métier de la santé. La Grande Conférence de Santé qui s’est tenue dernièrement a repris plusieurs de ces propositions. Il faut maintenant s’en saisir pour donner le cap d'un projet transversal respectueux des spécificités de la formation de futurs professionnels de santé au service des citoyens et des patients.

*… et répondant aux exigences scientifiques et sociétales

Référence
Les intertitres sont de la rédaction du JIM

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Vos réactions (11)

  • Numerus Clausus

    Le 27 février 2016

    Article hélas infiniment trop tardif mais excellent...Oui le numerus clausus a été établi pour des raisons totalement nulles et fausses...a bousillé la médecine et des générations d'étudiants qui auraient fait d'excellents médecins... et qui ont parfois échoué avec des moyennes dépassant 15, des jeunes qui auraient fait de bons médecins...
    Je fais partie de ceux qui ont été reçu avant ce maudit numerus clausus...ai je été plus mauvais que mes suivants... ?
    J'ai lutté dans ma jeunesse contre le numerus clausus et ...pour une fois j'avais raison...il a largement "détruit" la médecine !!! Reconstruisons la sans lui...c'est encore faisable...

    Dr Claude Krespine

  • Un postulat de base pour des réformes futures

    Le 27 février 2016

    Les propos du Professeur Dubois Randé sont clairs, évidents et pourraient servir de postulat de base pour ceux qui sont en charge des décisions concernant les études des professionnels de santé.
    Le numerus clausus est dépassé : le nombre de médecins approchant de l'âge de la retraite augmente et celui de jeunes médecins décidés à s'installer diminue. Les épreuves classantes en fin de première année, laissent au mieux dans d'autres filières au pire sur le bord du chemin, des jeunes dont les qualités intellectuelles et humaines devraient leur permettre l'accès aux études de médecine. Les autres professions de santé passant par le concours commun ne sont pas mieux loties.
    Réveillons-nous !

    Françoise Baudry

  • Humain oui, mais à quel prix ?

    Le 27 février 2016

    Etre humain et compétent, cela prend du temps, beaucoup de temps. Savoir limiter les examens complémentaires inutiles, voire dangereux, faire de la prévention, expliquer, aussi. Mais en libéral, nous sommes rétribués à l'acte, et pas au temps passé. Et pour 23 € ou 28 (spécialiste) quand on prend 1/2h par patient, ce qui me semble un minimum pour faire une bonne médecine humaine, on ne s'en sort pas: les charges sont trop lourdes. Alors que faire ? facturer la consultation au temps passé (comme les avocats, ou comme les médecins en Suisse) ? Pourquoi pas ?
    Sinon, on est condamné à avoir une médecine rapide et superficielle, et à ne plus avoir de médecins qui voudront s'installer en libéral (c'est déjà le cas). C'est une question de survie pour la médecine, qui jusqu'à présent était très bonne en France, car l'enseignement est de valeur.

    Dr Christiane Mothiron

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