Davantage de suicides parmi les consommateurs de cannabis ?

Les conclusions des études épidémiologiques sur l’influence de la consommation de cannabis sur le risque de suicide sont controversées. Bien que certains travaux ne classent pas l’usage du cannabis comme un amplificateur « officiel » du risque de suicide, d’autres études demeurent plus réservées à ce propos, évoquant des « contradictions » et des « biais possibles. » Par exemple, il n’est pas toujours évident de départager une réelle action suicidaire d’un décès apparemment « accidentel », mais lié peut-être aux conséquences fatales d’une prise de risques excessive (comportement ordalique, notamment lors de la conduite d’un véhicule).

Pour approfondir cette question débattue, une revue de la littérature médicale et une méta-analyse sont consacrées par Guilherme Borges (professeur de psychiatrie à l’université de Mexico, au Mexique) et coll. au risque de suicide lié à l’usage (ponctuel ou régulier) du cannabis. Les études retenues ont été publiées en langue anglaise entre 1990 et février 2015.

L’examen de 10 études sur les décès par suicide (majoritairement dans la population générale) comportant des données sur la présence et ou la détection d’une utilisation de cannabis montre un taux moyen pour cette dernière de 9,50 %, plus élevé pour les suicides non liés à une overdose. 

La consommation chronique pourrait avoir un impact sur le risque de suicide

Par ailleurs, les auteurs trouvent seulement quatre études fournissant des évaluations des décès par suicide  pour toute utilisation chronique du cannabis, avec alors un doublement à un triplement de la mortalité : Odds Ratio [OR] = 2,56 intervalle de confiance à 95 %, IC, [1,25–5,27]. Six études sont consacrées à la présence d’idées suicidaires dans « toute forme d’usage du cannabis » (aigu ou chronique, modéré ou massif), avec un rapport de cotes = 1,43 ; IC  [1,13–1,83]. Cinq études concernent un usage massif du cannabis (heavy use) en relation avec des idées suicidaires (OR = 2,53 IC [1,00–6,39]), six études évoquent « toute forme d’usage du cannabis et des tentatives de suicide » (OR = 2,23 IC [1,24–4,00]), et enfin six études évaluent l’impact d’un « usage massif du cannabis sur les tentatives de suicide » (OR = 3,20 [1,72–5,94]).

En définitive, les auteurs constatent un « manque de preuve » concernant l’effet d’un usage aigu du cannabis sur l’augmentation du « risque imminent » de suicide. Par contre, cette étude tend à confirmer qu’un « usage chronique » de ce produit peut avoir un impact effectif sur le risque de suicide, bien que ce constat puisse se trouver relativisé par un « manque d’homogénéité » dans l’appréciation de l’exposition au cannabis et, parfois, par un manque d’informations sur le rôle propre d’autres facteurs éventuels de risque de suicide, en particulier l’effet possible d’une addiction parallèle à l’alcool.

Dr Alain Cohen

Référence
Borges G et coll.: A literature review and meta-analyses of cannabis use and suicidality. J Affective Disord, 2016; 195: 63–74.

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Vos réactions (1)

  • Ouvrir les yeux

    Le 04 mars 2016

    Il avait été constaté un accroissement de la suicidalité chez les jeunes, parallèle à l'accroissement de leur consommation de cannabis. "Corrélation n'est pas preuve"; néanmoins l'analyse effectuée par le docteur Marie Choquet, épidémiologiste INSERM, à partir des enquêtes réalisées lors des journées d'appel pour la défense (JAPD) avait montré que les idées suicidaires, tentations suicidaires et tentatives de suicide étaient corrélées avec le niveau de consommation de cannabis.

    Au plan mécanistique maintenant : il est manifeste que le tonus endocannabinoïdergique participe à un tonus antidépresseur/thymoanaleptique, procédant d'une stimulation des récepteurs cannabinoïdes du type CB1. Le blocage de ces récepteurs opéré par le rimonabant (ex Acomplia, Sanofi Aventis) a suscité des troubles dépressifs (et d'anxiété) qui ont contraint au retrait du marché de ce médicament, pourtant très prometteur.

    L'usage répété du cannabis, par son THC, produit une désensibilisation des récepteurs CB1,(down regulation), qui aboutit, après un certain temps d'usage ou plutôt d'abus, à une perte d'activité des endocannabinoïdes et du THC lui même sur ces récepteurs et partant sur ce tonus. Alors, réapparaissent en force les expressions dépressives qui avaient pu contribuer à l'origine à l'appétence pour cette drogue. Et l'on se retrouve alors dans une situation assez semblable à celle qu'inflige le rimonabant. Bloquer les récepteurs CB1 ou les désensibiliser, même combat...

    Voila encore un constat qui dérangera quelques uns des lecteurs de JIM, mais ce n'est pas parce que ça les dérange que c'est faux pour autant, et qu'ils devront à belles dents mordre ceux qui, contre les vents dominants, avec leur expérience et leur culture bien entretenue sur cette drogue s'efforcent de leur ouvrir les yeux.

    Professeur Jean Costentin

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