
Chicago, le samedi 5 mars 2016 – En devise, une phrase de Groucho Marx. « Chaque matin, quand j’ouvre les yeux, je me dis que moi seul, et non les évènements, ai le pouvoir d’être heureux ou malheureux en ce jour ». Il y eut des matins pourtant où en ouvrant les yeux, la tristesse ne pouvait qu’embuer son regard. C’était ces matins où les rêves l’avaient emmené loin de la réalité : Claire et Lola, ses deux filles, marchaient et parlaient dans ses nuits. Hier, lorsque ce type de songes venait la visiter, Gwen Hartley s’éveillait avec un mélange de nostalgie et de volonté de transformer ce rêve en réalité. Elle en parlait aux kinésithérapeutes de ses filles se demandant si des exercices plus intensifs ne permettraient pas d’obtenir de nouveaux mouvements. Des regards tristes pour toute réponse. Aujourd’hui Gwen Hartley continue régulièrement à rêver que Claire et Lola marchent et lui parlent. Mais elle reçoit désormais ces songes comme des "cadeaux" qui s’ajoutent aux présents que représentent ses filles pour elle.
« Bien plus que la somme de tous ses diagnostics »
Dans le Midwest, aux Etats-Unis, Gwen et Scott sont beaux et heureux et rêvent de fonder une famille. Un premier enfant arrive, Carl, né en décembre 1998. C’est un petit garçon « neurotypique » observe sa mère avec un sourire. C’est un jeune enfant sportif et intelligent, attentif pour sa famille et qui conserve une grande tendresse pour ses sœurs. La première, Claire est née en 2001. « Je ne me souvenais pas que les bébés avaient une si petite tête » annonce sa mère en la découvrant. La formule n’a pas fait sourire le médecin et les sages-femmes présents dans la salle de travail. Très vite, une microcéphalie a été suspectée et finalement confirmée avant les quatre mois de la petite fille. Ce fut pour Gwen et Scott une première année marquée par le désespoir, en raison du sombre pronostic pesant sur leur enfant : les médecins estimaient qu’elle ne pourrait pas vivre plus d’un an. « J’aurais aimé qu’ils me donnent un peu plus d’espoir » observe aujourd’hui Gwenn, dont la fille a fêté cet été son quinzième anniversaire. Peu après son premier anniversaire, Gwenn et Scott ont appris à changer leur regard sur leur enfant. La microcéphalie s’accompagne de nombreuses complications pour la petite fille : nanisme, paralysie, épilepsie, scoliose, tandis qu’elle est nourrie par nutrition parentérale. Cependant, « nous avons décidé de ne pas nous concentrer sur ce qui ne va pas chez notre enfant, mais plutôt de chérir tout ce qu’elle nous apporte. Ses "problèmes" sont normaux pour nous et nous avons choisi de ne les considérer que comme des parties infimes de Claire. Elle est une petite fille étonnante – plus forte que toutes celles que nous avons connues – et bien plus que la somme de tous ses diagnostics » écrit sa mère.
Des tests repoussés
Quatre ans après l’arrivée de Claire dans leur vie et alors qu’ils étaient parvenus à surmonter leur douleur et leur sentiment de culpabilité pour retenir les joies apportées par la petite fille, Gwen et Scott nourrissent le désir d’avoir un troisième enfant. Le gène responsable de la pathologie de Claire n’ayant pas été identifié chez ses parents, le risque de mettre au monde un autre enfant également atteint apparaissait faible aux yeux médecins. La grossesse est particulièrement surveillée et lors du sixième mois de grossesse, une microcéphalie est détectée. Gwenn était parfaitement consciente de cette possibilité en dépit des messages rassurants des équipes médicales et avait considéré qu’après les épreuves traversées avec Claire, elle serait assez forte pour tout surmonter. Aussi accueillit-elle Lola. Elle refusa l’avalanche de tests qui s’était abattue sur sa fille ainée et restreint la prise en charge de Lola aux soins bénéfiques pour elle. La petite fille présente une grande partie des complications dont souffre sa sœur ainée, mais peut s’alimenter en partie par voie orale. Son nanisme, par contre est plus prononcé.
Zika : une image trop sombre de la microcéphalie
Toujours habillées et coiffées avec soin, Claire et Lola sont de tous les événements familiaux : fêtes, sortie, promenades. Elles manifestent leurs enthousiasmes par de petits cris, ou s’endorment au creux des bras de leurs parents et de leur frère. Gwenn dit de Claire qu’elle est « douce et facile à vivre », tandis que Lola n’hésite pas à « faire sa diva ». Gwenn n’a jamais caché ses filles et alimente depuis plusieurs années un blog sur sa vie de famille, ses doutes, ses difficultés, mais surtout ses joies quotidiennes. « Ce n’est pas la vie que j’aurais choisie, mais c’est la mienne depuis 14 ans et je l’adore » explique-t-elle dans une tribune publiée dans le Huffington Post. Mais si Gwen a souhaité s’exposer encore plus, c’est pour répondre aux inquiétudes suscitées par l’épidémie actuelle de Zika, qui augmente le risque de microcéphalie. Si elle indique ne porter aucun jugement sur les mères qui feraient le choix d’avorter, elle veut rassurer les autres sur la possibilité d’aimer les enfants atteints de cette "condition", de vivre avec eux et d’aimer la vie avec eux. Elle refuse que le virus Zika n’offre de la microcéphalie qu’une vision dramatique et dresse le portrait d’enfants inutiles et condamnés, quand la maladie peut revêtir des formes très différentes et que, défend-t-elle avec fougue, chacun peut, en dépit de ses handicaps, attiser de belles lumières.
Aurélie Haroche