La science de l’enthousiasme

Paris, le samedi 12 mars 2016 – « Un délice », « beauté insensée », « époustouflant ». Mais de quoi parle-t-elle donc avec ce sourire et cet enthousiasme sans cesse renouvelé ? Le « délice », c’est le frisson qui l’a parcouru, quand au lycée, elle a dévoré un livre de chimie. La jeune fille rangée, aînée d’une famille de cinq enfants, était destinée aux lettres classiques. Mais le livre était au programme, sagement, elle le lit. Adieu Rabelais, Ronsard, Balzac. « Je l’ai dévoré de bout en bout : je venais de découvrir que la matière était constituée de molécules qui s’assemblaient entre elles » racontait Pascale Cossart il y a quelques années dans les colonnes de Sciences et Avenir. Après ce « délice », la jeune fille change résolument de voie, pour entamer des études de chimie.

Par hasard

La « beauté insensée », c’est celle des premières protéines qu’elle séquença au sein du laboratoire de Georges Cohen à l’Institut Pasteur. Le vieux professeur, âgé aujourd’hui de 96 ans, mais qui continue régulièrement à se rendre à l’Institut se souvient de sa jeune étudiante : « C’est une brute de travail. Elle a été précurseur : la première en France à avoir séquencé une protéine ». Avant d’intégrer le laboratoire de Georges Cohen, Pascale Cossart a fait plusieurs rencontres. D’abord avec la biologie. La jeune femme était déjà titulaire d’un DEA de chimie, lorsque « par hasard, mes pas me conduisent à franchir les portes d’un amphithéâtre où se tenait un cours de biochimie ». C’est le même frisson que celui qui l’a saisie en ouvrant quelques années plus tôt le livre de chimie : « A la fin, j’avais compris que la chimie pouvait prendre vie ». Pour parfaire son cursus entre biologie et chimie, la jeune femme s’envole pour les Etats-Unis où elle obtient un Master of Science de l’Université de Georgetown. Elle regagne cependant rapidement la France où elle postule à l’Institut Pasteur. Elle est reçue par Jacques Monod, qui après une heure et demi d’entretien lui accorde une bourse et lui ouvre les portes du laboratoire du professeur Georges Cohen. Elle deviendra plus tard la directrice de l’unité Interactions bactéries cellules au sein de l’Institut Pasteur et professeur de classe exceptionnelle.

Du séquençage à la fondation de la microbiologie cellulaire

L’ « époustouflant », c’est la force et la combativité d’une petite bactérie, Listeria monocytogenes, dont Pascale Cossart est l’une des plus grandes spécialistes mondiales. « Elle résiste à bien des défenses mises en place par la cellule. Contre chaque stratégie possible de cette dernière, elle a mis en place une riposte. C’est époustouflant » décrit-elle dans les colonnes du Point. Cependant, en dépit de son inventivité et de sa ténacité, Listeria monocytogenes n’a aujourd’hui quasiment plus de secret pour la scientifique. Avant de s’intéresser à elle, Pascale Cossart « a commencé à devenir une spécialiste des séquençages. J’ai collaboré avec Maxime Schwartz, puis avec Brigitte Giquel qui m’a amenée à un autre type de recherche : la régulation bactérienne. Nos travaux ont été très productifs. Mais comme nous n’étions que deux dans un domaine compétitif, nous sommes revenues à un sujet plus pasteurien que sont les maladies infectieuses. Nous avons jeté notre dévolu sur 2 bactéries : la listeria et les mycobactéries (ces dernières peuvent être responsables de tuberculose, de lèpre. Elles partagent avec la listeria la propriété de se multiplier à l’intérieur des cellules de notre organisme) » racontait-elle à Canal Académie. Ses travaux seront fondamentaux. « Elle a fait de très belles découvertes sur la façon dont les bactéries pénètrent dans une cellule, se déplacent à l’intérieur et passent d’une cellule à l’autre sans passer par le courant sanguin, c'est-à-dire clandestinement » observe Maxime Schwartz. Surtout, en collaboration avec un autre Pastorien, Philippe Sansonetti, elle a fondé une nouvelle discipline, la microbiologie cellulaire.

Madame le secrétaire perpétuel

En 1999, cette native de Cambrai, qui a passé toute son enfance et adolescence à Arras dans une famille d’industriels, est élue correspondant de l’Académie des sciences, puis membre en octobre 2002 avant d’être élue Secrétaire perpétuel, fonction qu’elle occupe depuis le mois de janvier. A l’heure où l’Académie fête ses 350 ans, son ambition est de dépoussiérer la vieille institution, de l’ouvrir au grand public et à la jeunesse ; souhait qu’elle a déjà en grande partie accompli en créant il y a une dizaine d’années une séance annuelle dédiée aux jeunes chercheurs. Alors que son portrait a été largement diffusé à l’occasion de la Journée mondiale pour le droit des femmes, Pascale Cossard affirme : « J'encourage les femmes dans les sciences. Au quotidien, je les regonfle à mort. Au sein de la Fondation L'Oréal, j'ai aussi poussé pour augmenter le nombre de bourses à des femmes chercheuses par exemple. Moi, j'ai eu la chance de ne pas avoir eu besoin d'être gonflée » explique-t-elle, tout en déclarant n’accorder que peu de cas au masculin de sa fonction. Ses collaborateurs témoignent que d’une manière générale, cette mère de trois filles, toujours enthousiaste, sait créer une ambiance quasiment « clanique » au sein de son équipe. A propos de l’Institut Pasteur, elle dit elle-même qu’il est une famille. Si elle prend très à cœur ses missions de secrétaire perpétuel au sein de l’Académie des sciences, Pascale Cossart n’a nullement abandonné son amour pour la recherche. « On vit une époque passionnante : la microbiologie renaît, parce qu'elle est en train de se saisir de toutes les nouvelles technologies pour aborder des problèmes qui n'avaient jamais été à sa portée » observe-t-elle encore et toujours avec un enthousiasme jamais entamé, jamais démenti.

Aurélie Haroche

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