
Paris, le mardi 29 mars 2016 – Auteur en 2010 d’un livre consacré à la lutte contre les conflits d’intérêt, Martin Hirsch, aujourd’hui directeur de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris, (AP-HP) n’a pas oublié cette priorité dans ses nouvelles fonctions. Lors de ses vœux en janvier 2015, il a manifesté sa volonté d’inscrire cette action dans ses principales préoccupations. De fait, un rapport a été commandé à l’automne dernier à un groupe de travail dont les conclusions ont été rendues publiques hier. Les hasards de l’actualité auront fait de la dissimulation de liens d’intérêts au sein de l’AP-HP un thème à la une des médias la semaine dernière. Il a en effet été révélé qu’un professeur de pneumologie avait omis de déclarer au Sénat ses liens avec l’entreprise Total alors qu’il intervenait auprès d’une mission s’intéressant à la pollution atmosphérique. La question de la déclaration de son activité à la direction de l’AP-HP et de l’obtention d’une autorisation adéquate était par ailleurs l’objet d’un certain flou. Le rapport suggère très clairement que cette situation est loin d’être un cas isolé.
Rompre les liens : impensable et dangereux
Ce long travail est une entreprise quasiment inédite dans le monde hospitalier public et s’inscrit dans une tendance qui s’est affirmée en France il y a quelques années, visant à un contrôle plus strict des liens d’intérêt et à la prévention des conflits. D’emblée, les auteurs de ce rapport soulignent la difficulté de leur mission. « Un CHU, pour bien accomplir la totalité de ses missions, a besoin de relations avec l’industrie. Un CHU qui serait lui-même une forteresse vis-à-vis de l’industrie et qui enfermerait ses forces vives dans une tour d’ivoire, renoncerait à son essence même : contribuer au progrès médical, à sa diffusion et à sa mise à disposition du plus grand nombre » observent les praticiens à l’origine du rapport, qui dès lors indiquent qu’ils se sont refusés à toute traque systématique des conflits d’intérêt.
Eviter les liens directs
Inévitables et même souhaitables, les liens entre monde hospitalier et monde industriel doivent néanmoins être contrôlés, pour éviter que s’installe une situation « d’insécurité pour les patients, les professionnels, pour l’institution et pour les partenaires » poursuit le rapport. Pour répondre à cet impératif, les auteurs prônent « la pédagogie », « l’énoncé et le respect des règles » (souvent mal connues) et la recherche d’alternatives pour les situations les plus épineuses. Le rapport donne pour exemple ces nombreuses « associations de service » créées par des praticiens et qui sont décrites comme des « réceptacles à des financements de laboratoires avec peu de contrôle ». « On en a recensé au moins 400 à l’AP-HP. Les praticiens expliquent que ce système leur permet de gagner en souplesse, et par exemple, de recruter rapidement un assistant de recherche clinique. Mais ce système n’est pas sain, il est même dangereux. Pour y mettre fin, nous avons créé une Fondation AP-HP pour la recherche, laquelle peut centraliser les financements extérieurs et les redistribuer, programme par programme. Tout l’enjeu va être de prouver (…) qu’on ne perd pas en réactivité » a plaidé Martin Hirsch lors de la présentation du rapport hier. La même idée est développée au sein du rapport en ce qui concerne le financement des congrès médicaux, très fréquemment le fait des laboratoires : la mise en place d’un intermédiaire entre les praticiens et les laboratoires est suggérée par les auteurs. La recherche « d’alternatives » de ce type doit également s’imposer face au financement de « pots » et autres moments conviviaux ou encore de la formation continue. D’une manière générale, il s’agirait d’éviter les liens directs entre praticiens et industrie.
Activités accessoires : une mauvaise réponse à un vrai problème
Le rapport s’est également intéressé à la question des «
activités accessoires », dont une note adressée aux
personnels de l’AP-HP en février rappelait qu’elles doivent
obligatoirement être déclarées à l’institution. Tout en insistant
sur le fait qu’elles devraient faire l’objet d’une autorisation
préalable systématique (et d’une centralisation au sein d’un
portail commun), le groupe de travail invite à ne pas éluder les
questions soulevées par la fréquence de ces « activités
accessoires ». Il rappelle ainsi que cette tendance est liée à
la faiblesse des rémunérations et que ces activités constituent «
une mauvaise réponse à un vrai problème ». Aussi les
écueils sont nombreux : un contrôle trop strict des liens d’intérêt
pourrait risquer de décourager certaines vocations, tandis qu’une
trop grande liberté (pour pallier l’insuffisance des rémunérations)
équivaudrait à un aveu d’échec qui plus est dangereux. Autant de
constatations qui imposent pour les auteurs du rapport une
réflexion plus profonde. La complexité du sujet n’a pas échappé à
Martin Hirsch qui a promis qu’il ne s’agissait pas de se lancer
dans une lutte aveugle contre le monde industriel. « Il faut
imaginer des réponses, pas seulement des interdictions et des
contrôles qui démotivent. Je veillerai à ce que notre volonté de
changer d’époque n’ait pas "d’effet boomerang" affaiblissant
l’hôpital public universitaire » a-t-il promis. Une
déclaration qui sans doute rassurera ceux des médecins qui déjà ont
mis en garde contre une remise en cause brutale de leur
indépendance.
Le rapport de l’AP-HP sur les conflits
d’intérêts
Aurélie Haroche