30 ans après Tchernobyl : les sur-diagnostics plus nocifs que les retombées radioactives ?

Kiev, le mardi 26 avril 2016 – L’Ukraine commémore aujourd’hui l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl qui a ravagé une région entière et ravivé partout dans le monde la peur suscitée par l’énergie atomique. Si, en Ukraine, les troubles politiques et les difficultés économiques ont parfois relégué au second plan les conséquences de la catastrophe, les esprits demeurent pour toujours marqués par ce drame. Ainsi, il y a quelques semaines, de nombreux techniciens impliqués il y a trente ans dans le démantèlement de la centrale manifestaient à Kiev pour dénoncer l’abandon dont ils seraient les victimes de la part du gouvernement alors qu’ils ont agi au péril de leur vie, notamment pour bâtir un sarcophage protecteur. Ce dernier, qui menaçait depuis déjà plusieurs années d’effritements particulièrement dangereux, est en cours de remplacement par une arche métallique de confinement, capable d’isoler totalement le réacteur n°4. Cette protection est essentielle quand on sait « qu’on estime qu’il reste à l’intérieur du sarcophage 95 % des matériaux radioactifs qui étaient présents dans le réacteur lorsqu’il fonctionnait » avait indiqué l’année dernière au Figaro, Vince Novak, directeur de la sûreté nucléaire à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Cependant, cette installation pharaonique quatre fois plus lourde que la Tour Eiffel et plus haute que la Statue de la Liberté représente un coût d’entretien très élevé, dont on ne sait si l’Ukraine sera capable de l’assumer (les 1,5 milliards d’euros nécessaires à sa mise en place ont pour leur part été pris en charge par une quarantaine de pays).

Le nuage se serait effectivement arrêté à la frontière française

En France, également, ce triste anniversaire est l’occasion de quelques "célébrations" et témoignages. L’hypocrisie des responsables français de la sécurité nucléaire de l’époque, qui doctement, devant une carte d’Europe, affirmaient que le « nuage radioactif » s’était arrêté à la frontière française demeure en effet dans tous les esprits. Cependant, au-delà de l’outrance, voire du ridicule, de telles déclarations, les données épidémiologiques dont on dispose aujourd’hui semblent écarter l’existence de conséquences sanitaires graves en France des retombées radioactives de Tchernobyl. Le Bulletin épidémiologique hebdomadaire publie en effet aujourd’hui une série de travaux, éclairée par un éditorial de François Bourdillon et de Jacques Repussard respectivement directeur général de l’Institut de veille sanitaire et directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire qui revient sur les liens entre cancer de la thyroïde et cet accident nucléaire.

Pas d’effet Tchernobyl

Ces études confirment que l’incidence du cancer de la thyroïde a connu partout dans le monde, y compris en France, une forte augmentation au cours des trente dernières années. Cependant, les analyses mettent en évidence que cette progression s’explique d’abord par une multiplication des diagnostics, « hypothèse renforcée par l’observation d’une incidence plus forte dans les populations les plus consommatrices de soins » relèvent François Bourdillon et Jacques Repussard. Néanmoins, cette tendance ne permet pas à elle seule d’expliquer la hausse constatée. Les deux éditorialistes et les épidémiologistes évoquent également le rôle joué par « l’exposition aux rayonnements ionisants pendant l’enfance » et jugent qu’une véritable réflexion devrait être menée sur le sujet. Concernant l’influence éventuelle des retombées radioactives de Tchernobyl, « les calculs ont montré que le nombre de cas attribuables aux retombées de l’accident se situait très probablement à l’intérieur de la fourchette de variabilité du nombre total de cas survenant spontanément » notent François Bourdillon et Jacques Repussard. Ces derniers remarquent encore que les incohérences géographiques relevées (augmentation la plus forte en Isère, Gironde et Vendée et la plus faible dans le Bas-Rhin et le Haut-Rhin !) ne plaident pas en faveur d’un effet Tchernobyl.

Ces constatations ne convainquent cependant pas ceux qui sont aujourd’hui persuadés que l’explosion de la centrale nucléaire est à l’origine de leurs maux. Roland Desbordes, président de la Commission de la recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (CRRIRAD) remarque ainsi dans les colonnes de 20 minutes que les études se focalisent uniquement sur le cancer de la thyroïde, alors qu’ « il y a des tas d’autres pathologies liées à la radioactivité qui n’ont jamais été reconnues officiellement et donc étudiées ».

Erreur de timing ?

Ces patients qui se considèrent comme des "victimes" de Tchernobyl et des dissimulations du gouvernement français reçoivent les analyses concernant la population ukrainienne et japonaise avec le même doute. En Ukraine, il apparaît que la hausse du nombre de cancers de la thyroïde est probablement liée à l’exposition à l’iode-131, notamment par le biais de l’ingestion de lait contaminé, en particulier par les enfants. Au Japon, où au lendemain de la catastrophe de Fukushima un programme d’observation rigoureux a été mis en place, on constate là encore les effets du sur-diagostic. « Les premiers résultats de ce dépistage (…) montrent (…) une fréquence élevée de nodules et de kystes liquidiens et une incidence du cancer de la thyroïde chez les enfants plusieurs fois supérieure à celle observée dans d’autres préfectures japonaises non touchées par les retombées radioactives et disposant de registres appropriés. Ces résultats sont en grande partie expliqués par un effet de « surdiagnostic » lié au caractère systématique du dépistage. Or, ces surdiagnostics constituent en eux-mêmes une préoccupation de santé publique, car ils débouchent le plus souvent sur une intervention chirurgicale potentiellement dommageable ainsi que sur la mise en route d’un traitement dont la personne sera dépendante à vie, avec des surcoûts qui apparaissent non justifiés puisque nombre de ces cancers diagnostiqués seraient restés sans expression clinique en l’absence de traitement » observent François Bourdillon et Jacques Repussard. Ils soulignent que ces résultats devraient être une source d’enseignement pour les autres pays exposés au risque de tels accidents.

Pas sûr cependant que la publication de tels travaux et recommandations trouvent un écho en cette journée où la commémoration de la catastrophe du 26 avril 1986 laissera sans doute plus de place à la peur et à l’émotion.


BEH : ÉPIDÉMIOLOGIE DU CANCER DE LA THYROÏDE, DONNÉES ACTUELLES

Aurélie Haroche

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Vos réactions (1)

  • Controverse sur les "effets Tchernobyl"

    Le 26 avril 2016

    Il serait bien agréable de se rassurer à la lecture de cet article et des études citées mais il faut bien se rendre à l'évidence que nous avons subi tant d'enfumages sur ce thème, comme d'ailleurs plus récemment sur d'autres (voir le problème des pesticides au niveau Européen et bien d'autres exemples qu'il serait long d'inventorier) que le citoyen ordinaire - mais pas seulement lui- est menacé de psychose, balloté qu'il est entre les propos alarmistes de lanceurs d'alerte qui sont souvent des scientifiques reconnus et les discours lénifiants de politiques dont la sincérité a perdu beaucoup de crédit et de certains organismes dits scientifiques officiels dont on a pu voir que les travaux et conclusions reposaient parfois sur des études fournies par les industries incriminées...

    Dans une telle ambiance de suspicion, la "vérité" a bien du mal à trouver son chemin.

    H.Tilly

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