
Paris, le mardi 10 mai 2016 – Le Défenseur des droits, Jacques Toubon a rendu public hier un rapport très sévère sur le respect des « droits fondamentaux des étrangers en France ». « L’idée de traiter différemment les personnes n’ayant pas la nationalité française, de leur accorder moins de droits qu’aux nationaux est si usuelle et convenue qu’elle laisserait croire que la question de la légitimité d’une telle distinction est dépourvue de toute utilité et de tout intérêt » écrit en introduction l’ancien ministre de Jacques Chirac qui ajoute plus loin qu’une « logique de suspicion irrigue l'ensemble du droit français applicable aux étrangers (...) et va jusqu'à contaminer des droits aussi fondamentaux que ceux de la protection de l'enfance ou de la santé ».
Ouverture des droits à l’AME : le zèle de la CPAM épinglé
L’accès aux soins n’échappe en effet pas à la tendance mortifère que le Défenseur des droits dénonce dans ses travaux. Jacques Toubon revient notamment sur les difficultés rencontrées lors de l’ouverture des droits à l’Aide médicale d’Etat (AME). A l’instar de précédents observateurs, le Défenseur des droits relève que les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) s’attèlent fréquemment à un « contrôle des conditions d’ouverture des droits excessivement restrictif » et signale notamment la fréquente demande de « pièces injustifiées ». Plus de transparence dans la procédure et notamment dans les démarches à accomplir sont nécessaires juge le rapport. Ce dernier relève par ailleurs que les plus grandes difficultés pourraient être rencontrées par les ressortissants européens. Ces patients peuvent en effet souvent se voir renvoyés vers la « Carte européenne d’assurance maladie (CEAM), alors que celle-ci a seule vocation à couvrir les soins inopinés susceptibles d’intervenir dans le cadre d’un séjour temporaire à l’étranger » rappelle le document rendu public hier.
Mieux connaître l’ampleur des refus de soins liés à l’AME
L’obtention de l’AME n’est cependant en rien un sésame garantissant un parfait accès aux soins. Les difficultés demeurent encore nombreuses, relate le Défenseur des droits. D’abord, parce que l’AME suppose des lourdeurs administratives pour les établissements de santé et les professionnels, liées notamment au fait que les titulaires de l’AME sont dépourvus de carte vitale. Ces complexités favorisent les refus de soins. Aussi, une nouvelle fois, le Défenseur appelle à une simplification des démarches administratives. Le rapport invite également à mettre en place un dispositif similaire à ce qui prévaut pour la CMU afin de pouvoir bénéficier d’un « suivi quantitatif et qualitatif des refus de soins ». Des campagnes de sensibilisation sont également plébiscitées par le Défenseur des droits.
Inversion des priorités
Mais l’AME n’est pas seule en cause dans les refus de soins constatés. Le Défenseur pointe également des oppositions discriminatoires liées à la nationalité. Le rapport signale en outre une méconnaissance du Dispositif des soins urgents et vitaux (DSUV) qui permet un accès aux soins aux personnes en situation irrégulière mais ne pouvant bénéficier de l’AME (car sur le territoire depuis moins de trois mois). Le DSUV inclut l’accès à l’IVG : or, le Défenseur des droits a été saisi à plusieurs reprises par des femmes étrangères qui s’étaient vues refuser l’accès à l’IVG car ne bénéficiant pas de l’AME. Le Défenseur des droits estime par ailleurs que le DSUV devrait être également accessible aux étrangers en situation régulière en France, mais ne pouvant bénéficier de l’AME en raison d’un séjour de moins de trois mois. Il recommande « que la loi soit modifiée pour inclure au titre des bénéficiaires du DSUV les étrangers sans droits ouvrables, séjournant régulièrement en France, et ayant vocation à s’y installer durablement ». En l’absence d’une telle évolution, ces personnes doivent s’acquitter elles mêmes des frais liés à ces soins urgents. Enfin, le Défenseur des droits s’inquiète du recul constaté en ce qui concerne « l’admission au séjour pour soins ». « Les éloignements des personnes porteuses du VIH vers le Nigéria ou le Surinam marquent une régression qui illustre l’inversion des priorités entre la "maîtrise" des flux migratoires et le respect des droits fondamentaux, dont le droit à la vie », indique le rapport.
Les effets pervers de la PUMa ?
Au-delà de ce constat, le Défenseur des droits ne se montre guère optimiste pour l’avenir. Il s’inquiète en effet des répercussions de la future mise en place d’une protection maladie universelle (PUMa). Bien que censée restreindre les situations favorisant les ruptures de prise en charge des dépenses de santé, cette réforme ne devrait pas concerner les étrangers. Elle pourrait même rendre plus complexe encore leur situation. Aussi, le Défenseur souhaite-t-il pouvoir être associé à la rédaction des décrets d’application afin que le cas des étrangers soit pris en considération.
Rapport du Défenseur des droits
Aurélie Haroche