La ROSP : beaucoup de bruit pour . . .

Paris, le samedi 14 mai 2016 – La rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) est revenue sur le devant de l’actualité ces dernières semaines, en raison des propositions controversées de l’Assurance maladie visant entre autres à instaurer un système de malus et à proposer une prime pour les praticiens prescrivant des arrêts de travail conformes aux référentiels de l’Assurance maladie. La polémique née de cette suggestion (qui a rapidement été abandonnée) ravive les controverses plus générales autour de la ROSP.

Ces dernières concernent le principe même de ce dispositif, dont le caractère discutable était évoqué par des chercheurs de la Direction de la recherche des études de l’évaluation et des statistiques (DREES) qui dépend pourtant du ministère de la Santé, dans une étude publiée en février 2014. « L’adhésion des professionnels au dispositif se heurte aussi au fait qu’à partir du moment où l’on rémunère une action considérée comme "allant de soi" dans l’exercice de son métier, on change son statut, passant de norme professionnelle, ou d’impératif déontologique, à un statut marchand. On prend alors le risque que l’action soit ramenée à une simple transaction », écrivaient-ils.

Dans leur lignée, de nombreux médecins ont pu témoigner du caractère pour le moins troublant, voire dérangeant, de percevoir une prime pour le simple fait d’exercer leur métier. Outre les discussions sur le principe de la ROSP, la suspicion autour de ce dispositif est originelle : l’adhésion tacite qui a prévalu lors de sa mise en place a empêché l’énonciation d’une véritable opposition. Enfin, la pertinence médicalement discutable de plusieurs critères ne peut que renforcer la critique, sans parler du fait que ce dispositif semble être utilisé comme un prétexte par les pouvoirs publics pour ne pas répondre aux revendications tarifaires.

Autant d’éléments qui sont ici rappelés et détaillés par le médecin généraliste Claude Bronner qui s’interroge sur l’avenir de la ROSP.

Par le Dr Claude Bronner*

L’opinion des acteurs quant à ce qui doit remplacer les trois points de suspension de notre titre est des plus contrastée entre le dithyrambe de l’Assurance Maladie ou du Ministère, l’approbation mesurée de la CSMF et de MG-France, l’opposition mesurée de la FMF, du SML et du Bloc et l’opposition ferme et définitive des médecins totalement imperméables aux forfaits ou à toute notion de paiement au résultat médical ou économique, surtout économique !

La sécurité sociale veut-elle vraiment que les médecins appliquent ses référentiels concernant les arrêts maladie ?

En tout cas, la ROSP (Rémunération sur Objectifs de Santé Publique) fait parler d’elle. Comme chaque année, l’Assurance Maladie a publié opportunément son bilan [1] auto-satisfait quelques jours avant d’aborder le sujet en négociation conventionnelle le 28 mars. Elle y a proposé un document de travail [2] bien ficelé en terme de chiffres, mais bien plus discutable sur le concept et son évolution.

Pour faire bonne mesure, elle propose de passer en mode malus (un peu) et veut rémunérer les bons élèves qui non seulement utiliseront les arrêts de travail télétransmis, mais surtout utiliseront les durées d’arrêt de travail préconisées par la géniale interface informatique !

Pour illustrer la stupidité de la manœuvre, rappelons que l’entorse de cheville émarge à 21 jours d’arrêt de travail et qu’il suffirait aux médecins excédés de respecter cette préconisation à la lettre pour encore aggraver les comptes de la sécu !

Comptes d’apothicaire

En 2014, la ROSP a couté 377 millions à l’Assurance Maladie pour une dépense totale de quelques 20 milliards [5] pour les médecins libéraux tous payeurs confondus. Moins de 2 %, ridicule !

Si on se limite aux généralistes qui sont nettement plus « Rospés » que les spécialistes, c’est 341,4 millions sur un total de 8,7 milliards (comptes de la santé).Moins de 4 %, la belle affaire !
Il est vrai que lorsqu’on raisonne comme les Caisses d’Assurance Maladie, c’est déjà mieux puisqu’elle arrive en 2015 à 6 756 euros par médecin généraliste non MEP (Médecin à Exercice Particulier) en ne comptant que ceux qui en bénéficient.
Si l’on raisonne comme le ministère, c’est 1,4 euros sur le C pour les médecins généralistes [4].

Y-a-t-il une prime pour ceux ayant compris le fonctionnement de la ROSP ?

On a souvent parlé d’usine à gaz pour décrire le Capi devenu ROSP par la grâce de la convention 2011.
Les curieux pourront se reporter au texte conventionnel fondateur et ses évolutions [3]. La calculette FMF pour le paiement organisation du cabinet [6] ou le Paiement sur objectifs de santé publique pour les nuls [7] écrit par la CSMF qui défend la ROSP confirmeront la complexité d’un dispositif 100% technocratique et loin des préoccupations des médecins.
La difficulté pour trouver des critères médicaux pour les médecins spécialistes et la non adéquation de la notion de patientèle ROSP en ce qui les concerne ne fait que complexifier le sujet.
La non évolution des critères, dont certains sont devenus carrément obsolètes, sur les 5 ans de la convention confirme la pesanteur du dispositif.

Pour faire bonne mesure, Nicolas Revel a réussi en proposant de rajouter les arrêts de travail et le respect des motifs et durées d’arrêt assurance maladie à fâcher tous les syndicats dès le début de la discussion sur le sujet dans le cadre de la Convention en cours d’élaboration.

La proposition a fait long feu.

Elle pourrait réapparaître dans le règlement arbitral qui remplacerait la convention si la négociation actuelle échouait !

Alors, la ROSP : stop ou encore ?

Sécu et ministère la portent au nues, la CSMF et MG-France y tiennent, les autres syndicats verraient d’un bon œil son remplacement par autre chose, mais sans disparition des rémunérations correspondantes.

Si l’on accepte une part de paiement forfaitaire, le volet organisation du cabinet médical est un critère de choix, qui plus est, adaptable à toutes les spécialités.
Tous les négociateurs préconisent ou au moins acceptent l’idée de sa transformation dans le cadre de la mise en place d’un forfait structure.

Faut-il garder les critères médicaux et économiques ?

Les progrès des médecins mis en avant dans l’enthousiasme d’un bilan sans nuance réalisé par la Caisse masquent mal une pertinence des plus discutables, la plupart des améliorations étant imputables plus à l’air du temps qu’à la ROSP elle même : les statines pour les diabétiques rentrent dans les prescriptions avec et sans ROSP, l’hémoglobine glyquée marche bien, mais sa pertinence est sujette à caution, les vaccins ou le dépistage du cancer du sein ne progressent pas comme attendu, confirmant l’importance du contexte !

Quant à l’économique, on ne répétera jamais assez que c’est la politique du prix du médicament qui doit être réformée pour que les patients demandent les médicaments les moins chers ou se payent les autres…

Au pire, il est indispensable que les médecins puissent accepter ou refuser facilement la ROSP en tout ou partie, ce qui est actuellement impossible et fausse d’ailleurs le bilan.

La nécessité de mettre en place un forfait structure important est donc au cœur des débats. Son montant devrait être dix fois plus important que l’actuelle ROSP et permettrait d’agir sur la qualité d’infrastructure des cabinets, de favoriser une politique d’emploi à même de modifier le confort de travail des médecins et partant le confort des patients, de faciliter les installations là ou elles sont les plus utiles.

La pertinence médicale peut se concevoir dans une optique d’action douce sur les pratiques (par exemple le rapport sartans versus IEC), mais c’est loin d’être une nécessité et il faudrait au moins que les critères évoluent de manière dynamique, ce qui relève du pur fantasme.

Emblématique de l’époque

Quant à la fameuse "efficience" dont le terme masque la volonté forcée d’économie, elle devrait au minimum servir à payer les médecins sur les économies réalisées, à la condition que les patients en bénéficient aussi et que les médecins gênés aux entournures de la déontologie puissent choisir de ne pas en bénéficier si tel est leur souhait.

La ROSP est emblématique de l’époque : les meilleures intentions aboutissent au final à des dispositifs incompréhensibles et parfois contre-productifs. Les réformes indispensables (forfait structure conséquent) sont a priori inenvisageables car le manque de clairvoyance et de courage politique reste la marque des pouvoirs publics au prétexte des difficultés économiques, obligeant les syndicats à se replier sur une défense catégorielle elle aussi surannée.


*Dr Claude Bronner : Médecin Généraliste, Président d’Union Généraliste (les généralistes de la FMF),Vice-Président de la FMF (Fédération des Médecins de France, 2ème syndicat de médecins libéraux aux élections professionnelles 2015).
Rémunération ROSP 2015 perçue pour 468 patients médecin traitant : 2 364 euros pour les objectifs d’organisation du cabinet médical (sur 2 364 possible) et 2 282 euros pour les objectifs de qualité de la pratique médicale (pour 3 686 possible).
Cette signature fait office de déclaration de liens d’intérêts !

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