
Paris, le samedi 18 juin 2016 – Les motifs de désolation se sont succédé cette semaine. Cependant, la tuerie d’Orlando a sans doute pesé le plus sombrement sur les esprits, suscitant sans surprise quelques commentaires sur les blogs, y compris ceux tenus par des professionnels de santé. Ces textes témoignent de la stupéfaction, de la complexité des sujets et de la persistance d’une homophobie latente.
Homophobie plus que latente
Le médecin auteur du blog Alors voilà, Baptiste Beaulieu, a pu
le constater avec violence. Le 13 juin, il prend la plume pour
écrire un bref billet, à vif, après la tragédie. « Ont-ils eu
peur ? Ont-ils su ? Ont-ils crié ? Ont-ils cherché une main
secourable ? Ont-ils compris ? Ont-ils prié ? Ont-ils eu le temps
de penser à leurs proches ? » s’interroge en une litanie le
praticien, qui aime à rapporter des anecdotes sur son exercice
médical. Dans ce post où l’émotion transparaît, Baptiste Beaulieu
revient sur les remarques de certains jugeant qu’aujourd’hui, dans
les sociétés démocratiques, la « défense » des droits des
homosexuels n’a plus réellement de raison d’être. « A ceux qui
disent que la gay pride ne sert à rien, et qu’il n’y a pas
d’hétéro-pride : aucun hétérosexuel ne meurt parce qu’il est
hétérosexuel. Aucun. On ne vous casse pas la gueule pour ça. On ne
crève pas les pneus de votre voiture pour ça ».
Une remarque presque prémonitoire car quelques heures après avoir
publié ce court texte, Baptiste Beaulieu voyait sa page Facebook
inondé de messages ouvertement homophobes, dont plusieurs très
menaçants. « Vous doutez de l’homophobie ? Lisez les
commentaires (…) et demandez vous : que se passe-t-il à votre avis
quand ces individus croisent des hommes, des femmes ou des
transgenres qui se tiennent la main dans la rue ? » lance-t-il
le lendemain en publiant des captures d’écran où l’on découvre la
violence des échanges (voir notre illustration ci dessus à
gauche).
Une pratique perverse librement choisie pour un tiers des Français
Dans son post, Baptiste Beaulieu procédait à un éclairage qu’il aurait été utile au Président de la République de lire. « A ceux qui pensent que les personnes choisissent d’être homos, lesbiennes ou transgenres, ce n’est pas un "choix". On ne choisit pas d’avoir peur de tenir la main de la personne qu’on aime en public. On ne choisit pas de se faire assassiner par un terroriste dans un lieu de fête et de joie » observait-il avec tristesse. L’allusion à cette notion de "choix" n’est pas anodine, elle est l’un des points névralgiques des discussions autour de l’homosexualité. Les associations défendant les LGBT (Lesbian Gay Bi Trans) militent pour que l’orientation sexuelle ne soit pas considérée comme un "choix", une telle acception laissant en effet le champ libre à des interprétations malveillantes ou inopérantes. Considérer l’homosexualité comme un choix revient en effet à estimer que l’on peut y renoncer, revenir dessus ou encore que ses "conséquences" doivent être assumées. « J’ai été stupéfait, au moment des "Manifs pour tous", de prendre conscience qu’un tiers des Français pensaient que l’homosexualité, l’intérêt pour le même sexe, était une pratique perverse choisie délibérément. Alors que ce n’est pas un choix », rappelait dans un récent documentaire diffusé sur France 2, le Dr Philippe Brenot, enseignant en sexologie, cité par le journaliste et médecin Jean-Yves Nau sur son blog.
De l’inconvénient de choisir Tweeter
Cependant, faire de l’homosexualité un "choix" ne relève pas toujours de présupposés négatifs. Il peut s’agir fréquemment d’un raccourci : est signifié ici qu’a été choisi le fait de vivre son homosexualité, de ne pas la nier. On peut également y voir une façon maladroite d’écarter la thèse d’une origine purement génétique de l’homosexualité, thèse défendue par certains pour justifier la mise en place de traitements. Par ailleurs, la notion de choix sous-tend celle de liberté, notion éminemment positive et que la communauté homosexuelle exalte. C’est probablement dans ce cadre qu’elle s’est imposée à François Hollande (ou à son équipe) à l’heure de rédiger son tweet d’hommage aux victimes d’Orlando. « L’effroyable tuerie d’Orlando a frappé l’Amérique et la liberté. La liberté de choisir son orientation sexuelle et son mode de vie » pouvait-on lire sur le fil de l’Elysée, tandis que dans une brève allocution prononcée devant l’ambassade des Etats-Unis lundi, le chef de l’Etat utilisait la même formule. Bien mal lui en prit : les réactions se sont multipliées sur les réseaux sociaux et sur de nombreux sites. Il a été sévèrement rappelé au Président de la République que l’orientation sexuelle ne peut être considérée comme un "choix". Très vite, la bévue a été comprise et le tweet controversé retiré pour être remplacé par « La tuerie homophobe d’Orlando a frappé l’Amérique et la liberté : la liberté de vivre son orientation sexuelle et de choisir son mode de vie » pouvait-on lire alors. « Preuve que les femmes et les hommes politiques français sont encore bien mal à l’aise quand il s’agit d’évoquer l’homosexualité et ses problématiques » constate le blog Big Browser sur le Monde.fr. Preuve également probablement que l’immédiateté de Twitter sied mal à un tel contexte et à une telle complexité.
Commentaires à l’infini
Les hommages et les explications de texte n’auront pas été les seules gloses autour du drame d’Orlando. Des commentaires politiques ont également été nombreux concernant notamment l’impact de cet attentat sur la campagne électorale américaine. D’autres se sont intéressés une nouvelle fois aux liens entre djihadisme et psychiatrie, au lendemain des révélations de l’ex-femme de l’auteur de la tuerie Omar Mateen, soulignant qu’il était probablement bipolaire. « Psychiatrie et religion. Quelle lecture l’emportera ? » conclut sur ce thème Jean-Yves Nau.
Pour découvrir ces hommages et ces interrogations, vous pouvez
consulter les blogs de
Baptiste Beaulieu : http://www.alorsvoila.com/ont-ils-su-2
Jean-Yves Nau :
https://jeanyvesnau.com/2016/06/14/sexualite-et-predestination-un-sujet-philosophique-propose-par-le-president-de-la-republique
et
https://jeanyvesnau.com/2016/06/13/psychiatrie-et-prevention-lauteur-de-la-fusillade-dorlando-souffrait-il-de-troubles-bipolaires/
et le blog Big Browser de la rédaction du Monde :
http://www.lemonde.fr/big-browser/article/2016/06/14/quand-francois-hollande-apprend-qu-on-peut-choisir-ses-mots-mais-pas-son-orientation-sexuelle_4949791_4832693.html.
Aurélie Haroche