
Paris, le mercredi 20 juillet 2016 - Il n’aura pas fallu longtemps avant que les réactions s’enchaînent à propos de l’introduction éventuelle d’une clause de conscience dans le nouveau code de déontologie des pharmaciens. En 2015, une première consultation auprès des 75 000 pharmaciens inscrits au tableau de l’Ordre avait ainsi recueilli une approbation à 85 % pour que le nouveau code de déontologie accueille une clause de conscience au bénéfice du pharmacien. Les profondes divisions sur la question au sein du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP) et les modalités du scrutin qui donnait la possibilité à une seule personne de voter plusieurs fois ont poussé Isabelle Adenot, la présidente du CNOP, à resoumettre cette question, « avec l’assurance qu’un pharmacien ne peut voter qu’une seule fois ».
Le projet d’article R. 4235-18 sur lequel les pharmaciens sont appelés à s’exprimer est rédigé comme suit : « Sans préjudice du droit des patients à l’accès ou à la continuité des soins, le pharmacien peut refuser d’effectuer un acte pharmaceutique susceptible d’attenter à la vie humaine. Il doit alors informer le patient et tout mettre en œuvre pour s’assurer que celui-ci sera pris en charge sans délai par un autre pharmacien. Si tel n’est pas le cas, le pharmacien est tenu d’accomplir l’acte pharmaceutique ». Une disposition qui n’a pas tardé à faire réagir ceux qui y voient une possibilité en or offerte aux lobbys anti-avortement et anti-contraception.
Levée de boucliers tous azimuts
Dans un communiqué en date du 19 juillet, Laurence Rossignol, la ministre des Familles, de l’enfance et des droits des femmes, estime que « si cette consultation était suivie d’effet, elle ouvrirait clairement la possibilité pour des pharmaciens de refuser de délivrer la contraception d’urgence (pilule du lendemain), la pilule, le stérilet ou même le préservatif ». Selon elle, « quel que soit le résultat de cette consultation, le simple fait d’interroger les pharmaciens sur ce sujet nous rappelle que l’accès à la contraception et à l’IVG, en tant que droits à part entière, n’est jamais définitivement acquis ». Elle en appelle enfin à la présidente du CNOP et lui demande de « clarifier l’objet de cette consultation et de réaffirmer l’attachement de l’Ordre à assurer aux femmes leur autonomie et la liberté de choisir leur contraception ».
Dans le même temps, le Planning familial a également fait paraître un communiqué dans lequel il appelle à « une mobilisation massive pour que l'Ordre des pharmaciens rejette la proposition d’inscrire dans le chapitre “Devoirs envers les patients” une (telle) disposition » et rappelle aux pharmaciens que « leur devoir est d'aider les patient(e)s et non d'entraver leurs droits ou leur compliquer l'accès à un traitement ». Un jour plus tôt, le 18 juillet, une pétition internet adressée à Isabelle Adenot et lancée par l’autoproclamé « collectif de pharmaciens contre la clause de conscience » appelle au retrait de la disposition « qui est une attaque directe des droits des patients » et qui ne servirait qu’à « satisfaire les pharmaciens les plus réactionnaires, qui souhaitent avoir le droit de ne pas délivrer certains médicaments par convictions personnelles ». Pour l’heure, cette pétition frôle les 6 500 signatures.
Le CNOP dénonce un climat de désinformation
Quelques heures après la ministre, c’était au tour de la présidente du CNOP de faire paraître un communiqué dans lequel elle s’en prend sévèrement aux « propos non documentés » et « consternant à ce niveau de responsabilité de l’Etat » de la première. Pour Isabelle Adenot, les choses sont très claires en ce que « les débats qui se sont déroulés au sein de l’Ordre sur cet article n’ont jamais porté sur la contraception mais sur la fin de vie, situation souvent très délicate à gérer par les pharmaciens de ville et d’hôpital ». Il n’est donc « évidemment pas question dans cette proposition de texte, de pilule du lendemain, de stérilet ou même de préservatif ! ». Très remontée, la présidente du CNOP a même tenu à rappeler que le préservatif « n’a jamais attenté à la vie humaine, mais est là pour la protéger » et que « des pharmaciens se feront un plaisir d’expliquer à Madame la Ministre le mode d’action des contraceptifs ».
Rappelant l’affaire récente du pharmacien de Gironde qui avait refusé de délivrer des contraceptifs par conviction religieuse, Isabelle Adenot enfonce le clou en pointant le fait que ce n’est pas « Mme Rossignol, si prompte à diffuser des communiqués de presse » qui a porté plainte, mais « le Président d’un Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens ». Pour elle, tous ces propos créent donc « un climat de désinformation très préjudiciable pour les patients et le public » et tendent à « alarmer inutilement les femmes en leur laissant supposer que leurs libertés seraient remises en cause par une institution professionnelle qui n’a de cesse, au contraire, d’œuvrer dans le sens de leur défense et qui a pour mission de faire respecter lois et textes réglementaires ». De son côté, Marisol Touraine qui, en tant que ministre de la Santé est la seule à pouvoir valider le nouveau code de déontologie des pharmaciens, joue l’apaisement. Elle a expliqué avoir « pleinement confiance dans la présidente du conseil de l’Ordre, dont elle connaît les convictions et les engagements » et « ne croit pas que l’Ordre ait jamais eu l’intention de porter une proposition qui remette en cause ces droits fondamentaux des femmes ».
Benoît Thelliez