
Paris, le samedi 30 juillet 2016 – Il y a vingt-neuf ans, le Téléthon n’était pas la machine médiatique parfaitement rodée qu’elle est devenue aujourd’hui. Les enfants qui attendaient sagement derrière les présentateurs, dans leur fauteuil roulant, n’avaient pas la même familiarité avec la scène, la télévision. Ils ne portaient pas le même espoir. Damien est l’un des premiers enfants à être apparu sur le plateau du Téléthon. Il a seize ans, il souffre d’une myopathie de Duchenne. Il ne marche plus depuis plusieurs années. Son « intelligence vive », sa « dignité et sa gravité » frappent les journalistes du Figaro spectateurs de cette première édition, presque autant que ses sourires.
« Ne vous attachez pas à lui »
L’un des premiers enfants "symboles" du Téléthon n’est autre que le fils d’un des deux fondateurs de cette entreprise : Pierre Birambeau. Vers l’âge de cinq ans, Damien est un petit garçon intelligent et à l’esprit vif. Mais certaines de ses difficultés inquiètent ses parents : il semble avoir du mal à se déplacer, il ne monte pas un escalier seul. En 1977, le verdict tombe : « Votre fils a une maladie génétique évolutive. Vers dix ans, il va s’arrêter de marcher. Vers dix-huit ans, il sera grabataire. Ne vous attachez pas à lui, car il n’ira pas au-delà de vingt ans », lance le médecin aux parents en annonçant le diagnostic de myopathie de Duchenne, a raconté il y a une dizaine d’années Pierre Birambeau.
Des hommes en colère
Le conseil est évidemment (et heureusement) impossible à suivre. Le couple refuse la solitude qui s’est abattue sur eux en dépit de l’affection de leurs proches. Cependant, les associations de patients qui existent alors « réunissaient des gens bavards, peu efficaces, tout juste bons à pleurer en chœur ». Au sein de la jeune Association française contre les myopathies, l’ingénieur, PDG d’une usine de production d’aluminium, va trouver des gens différents et dynamiques. Et en colère, comme Bernard Barataud. L’alliance des deux hommes va permettre à l’association un important développement : ils trouvent des alliés, bousculent l’intelligentsia et le monde de la recherche et vont porter le Téléthon sur les fonds baptismaux. En août 1986, Pierre Birambeau emmène ainsi en voyage sa femme et ses deux fils, dont Damien, aux Etats-Unis pour mieux comprendre les rouages du Téléthon et réfléchir à son adaptation en France.
Une aventure sur le web
Ce ne sera pas le dernier voyage américain de Damien. Quelques années plus tard, il se rendra à Berkeley et y découvrira un vibrant sentiment de liberté. « J'ai vécu une expérience extraordinaire : le tout accessible et « l’independant living ». De retour en France, une obsession ne m'a plus quittée : connaître un maximum d'adresses accessibles pour pouvoir sortir librement » a-t-il raconté quelques années plus tard. Le jeune homme ayant abandonné ses études en seconde après un parcours chaotique (son père a raconté comment dans un des établissements fréquentés par Damien l’ascenseur était interdit aux enfants… même handicapés !) et qui avait connu l’échec d’un magazine papier consacré à l’accessibilité se lance alors dans la création d’une entreprise participative sur le web. Il s’agit de recenser l’ensemble des lieux accueillant du public accessibles aux personnes handicapées. Aujourd’hui, le site Jaccede est le premier site dédié à l’accessibilité en France. Les débuts sont difficiles, mais Damien fait montre d’une énergie et d’un dynamise sans relâche. Il y a quelques années, l’une de ses aides de vie décrivait ainsi « un hyperactif du travail». « Il continue de réaliser chaque jour des progrès dans ses activités, et je ne suis pas sûr qu’il y ait beaucoup d’hommes de plus de trente ans qui en accomplissent autant » avait également témoigné son père.
Faire sauter les préjugés
Tout au long de sa courte vie, qui s’est achevée dans sa quarante-cinquième année en ce mois de juillet 2016, Damien aura vu et bénéficié de l’avancée de la recherche et de la prise en charge des personnes handicapées qui a été en partie rendue possible grâce à l’action de l’AFM. « L’espérance et la qualité de vie des malades ont énormément progressé » avait ainsi constaté son père, rappelant qu’on avait prédit à Damien qu’il ne dépasserait pas les vingt ans.
L’arrivée de la prestation de compensation du handicap (PCH), grâce à la loi sur l’intégration des personnes handicapées avait également considérablement amélioré ses conditions de vie. « Pour la première fois, mes besoins ont vraiment été pris en compte. (…) Aujourd’hui j’ai quatre assistants de vie en emploi direct qui se relaient jour et nuit tout au long de la semaine. Je suis beaucoup plus autonome, je peux sortir, faire des projets… mon quotidien s’est énormément amélioré. Tout n’est pas parfait. (…) Pour autant, sans le droit à compensation, aujourd’hui je serais sans doute en institution, ou en tout cas dans une situation très précaire car mes parents n’auraient pas pu continuer à assumer » avait-il témoigné pour le Téléthon.
Aller vers l'autre
Cette indépendance gagnée grâce à la PCH était une priorité pour Damien qui avait fait de cette question un défi tant personnel que public. « Il n'a jamais compté son énergie pour démystifier le handicap, favoriser l'indépendance des personnes à mobilité réduite et faire évoluer les mentalités sur les questions d'accessibilité », explique Pierre Deniziot, délégué spécial en charge du handicap au sein du Conseil général d'Ile de France. Ce n’est pas seulement sur le terrain de l’accessibilité que Damien considérait que les personnes handicapées devaient prendre des initiatives mais aussi dans leur rapport aux autres. « S’il y a des gens coincés qui ne vont pas vers nous, nous devons réapprendre à aller vers eux. Par exemple, lorsque je suis dans un buffet. Des gens, tant que je ne leur ai pas parlé, sont comme paralysés. Déjà, si je les regarde normalement, cela améliore les choses. Parfois, on me demande si l’on peut m’aider. Eh bien, j’ai appris à dire oui à ce qu’on me propose. Grâce à cela, en cinq secondes, je peux faire sauter les préjugés » avait-il ainsi signalé lors d’une rencontre avec des journalistes de Handicap.fr.
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Léa Crébat