A découvert

Paris, le samedi 3 septembre 2016 – Ombre tutélaire au-dessus de nos pas. Patriarche du quotidien. Amitié fougueuse. Parce qu’ils ont accompagné nos vies, parce qu’ils leur ont donné sens, nous sommes convaincus de connaître nos pères et nos amis. Mais les doutes s’installent doucement. Que certains cherchent à faire fondre, avec patience. Claire Dallanges a toujours su que son père a choisi de renoncer à son sursis et de s’embarquer en Algérie pour faire son service militaire entre 1959 et 1961. Mais au-delà de ce fait brut et de quelques anecdotes toujours répétées, elle ne savait rien. Quels odeurs, quelle souffrance, quelle déception ? Dans l’album Salam toubib, à travers la voix de Claire Dallanges et les dessins de Marc Védrines, le mystère est peu à peu percé. C’est le récit de l’enquête patiente de Claire Dallanges auprès de son père pour qu’il dise l’effondrement de ses illusions concernant le véritable visage de la colonisation française en Algérie. Mais aussi pour qu’il évoque sa fidélité entière au serment Hippocrate : sa volonté de soigner tous et toutes, Français comme Algériens, combattants comme paysans perdus dans les montages. Ainsi, Claire Dallanges met à découvert un homme, dont elle aura perçu, malgré les silences, combien cet épisode aura été essentiel dans sa vie.

D’Amérique en France

Pas de transmission in vivo pour Paul et son père, dans le dernier roman de Jean-Paul Dubois, La Succession. Le malentendu entre les deux hommes aura persisté jusqu’à la mort d’Adrien Katrakilis, médecin à Toulouse. Quand il débarque de Miami où il a introduit la pelote basque, Paul est surpris de constater que la disparition de son père a laissé un grand vide chez ses patients, qui se pressent nombreux à son enterrement. Comment croire à une telle tristesse quand Adrien était un homme froid, qui avait moqué le désir de son fils, fraîchement diplômé de la faculté de médecine, de s’envoler pour Miami et de se consacrer à une discipline sportive désuète ? Dans un premier temps, Paul continue à refuser de s’inscrire dans les pas de son père mais finit, comme ce dernier l’avait prédit, par s’y résoudre et rouvre le cabinet médical. C’est à travers le témoignage des patients qu’il découvre enfin son père, ainsi qu’à travers ses petits carnets noirs qui mettent en lumière la sollicitude marquée du praticien, son désir de dépasser certaines frontières pour le bien de ses malades. Le dialogue post-mortem entre le père et le fils pourrait se renouer.

De France en Amérique

Il y eut mille dialogues entre Catherine et son ami Thomas. Dont un, essentiel. Un jour, en Bretagne, la jeune romancière lui fait lire un texte qu’elle a écrit sur lui. Il est désemparé. Factuelle et précise, elle a fait le récit de ses échecs, de ses arrivées, de ses départs. « J’ai transformé ta vie en un fil chronologique dont j’ai ôté toute substance pour la juger à l’aune du succès en suivant des critères purement sociaux » analyse des années plus tard l’écrivain dans le roman L’autre qu’on adorait qui vient de paraître et qui évoque la mémoire de l’ami disparu. Les reproches de Thomas ont offert à Catherine des révélations essentielles sur le métier d’écrivain. Et lui ont fait découvrir les reflets fragiles de ce que Thomas appelait la « vie intérieure ». C’est celle-ci, avec ses fêlures et ses manquements, qu’elle tente de reconstituer dans ce roman, en partie autobiographique, consacré à celui qui, atteint d’une maladie mentale mal prise en charge, s’est donné la mort à 39 ans dans un petit appartement de Virginie.

Bande dessinée :

Salam Toubib, de Claire Dallanges et Marc Védrines, Delcourt, 160 pages, 18,95 euros

Roman :

La Succession, de Jean-Paul Dubois, l’Olivier, 234 pages, 19 euros

L’autre qu’on adorait, Catherine Cusset, Gallimard, 304 pages, 20 euros

Aurélie Haroche

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions

Soyez le premier à réagir !

Les réactions aux articles sont réservées aux professionnels de santé inscrits
Elles ne seront publiées sur le site qu’après modération par la rédaction (avec un délai de quelques heures à 48 heures). Sauf exception, les réactions sont publiées avec la signature de leur auteur.

Réagir à cet article