
Paris, le samedi 3 septembre 2016 – Le 25 août dernier, une nouvelle convention organisant les rapports entre l’Assurance maladie et les médecins libéraux étaient signés par trois syndicats constituant une majorité, MG France, le Bloc et la Fédération des médecins de France (FMF). Considérant le texte insuffisant face aux attentes de la profession, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) et le Syndicat des médecins libéraux (SML) ont refusé de signer. De son côté, organisation non syndicale (mais qui pourrait décider de se constituer en syndicat dans les semaines à venir), l’Union française pour une médecine libre (UFML) a toujours appelé à rejeter cette convention, notamment parce qu’elle est l’œuvre d’un gouvernement ayant mis en place la loi de santé, considérée comme un arrêt de mort de la médecine libérale. Pour nous, le patron de cette union, le docteur Jérôme Marty revient sur les enjeux du combat qu’il souhaite mener et sur les menaces qui pèsent sur la médecine libérale.
Par Jérôme Marty, président de l’UFML
Et maintenant ? Cette question simple et difficile qui ouvre sur l'avenir, l'immense majorité des médecins se la pose après la validation de la convention par MG France, le Bloc et la FMF.
Cette question traduit mieux que tout autre l'état d'esprit de
notre profession fait d'inquiétude, de colère, de défiance.
Inquiétude alors que décret après décret, la loi de modernisation
de la Santé commence à s'appliquer.
Colère envers les syndicats signataires qui, d'opposants à la loi de modernisation, sont devenus partenaires contractuels de son initiateur.
Défiance vis à vis des politiques dont les actes depuis trente ans abiment la médecine.
Incompréhension
Les médecins et les soignants dans leur ensemble voient l'essence même de leur engagement profondément modifié par la loi de modernisation de la Santé qui consacre dans son article 1 l'étatisation du soin (l'Etat est responsable de la politique de santé), la toute puissance des ARS (les ARS sont les relais de l'Etat et veillent à la répartition territoriale homogène de l'offre), la mise à genou de l'Assurance maladie désormais chargée de l'application des décisions de l'Etat, et dans ses articles 25 et 47, la fin du secret médical.
« C'est la fin de la médecine libérale et c'est une bonne chose » s’était exclamée Brigitte Dormont sur France Culture le 19 avril 2015 à propos de cette loi, ajoutant que si l'Assurance maladie veut influer sur la pratique des médecins elle peut désormais le faire...Cette déclaration validait le combat de la profession, un combat pour sa survie, plus encore, un combat pour son indépendance, un combat de valeur qui allait bien au delà de la médecine libérale.
Les choses étaient clairement exprimées, les buts définis, la non signature était une évidence. Ils signèrent... Passons...
Face à nous, le drame...
Jamais la médecine de France n'a connu avenir plus sombre.
Selon le CNOM (2014), 27 % des médecins sont âgés de plus de 60
ans, le nombre de médecins retraités a augmenté de 62,5 % de 2006 à
2014, durant la même période, la hausse des actifs n’était que de
1.2% ! Seul 9 % des jeunes médecins s'installent en libéral au
sortir de la faculté, 25 % des médecins formés ne se destinent pas
aux soins, 25 % des médecins s'inscrivant à l'ordre ont été
diplômés à l'étranger (62,4 % d'entre eux seront salariés).
Paris a subi une baisse de médecins généralistes de 21,4% de 2007 à
2014 !
Les déserts médicaux se multiplient et n'épargnent aucun territoire
(Toulouse voit deux tiers de ses médecins à moins de 10 ans de la
retraite), et une pharmacie ferme tous les 2 jours sur le
territoire.
Le taux de suicide de la profession atteint 2,48 fois le taux
national et le CNOM annonce 40 % des médecins en burn out.
Vingt chirurgiens démissionnent tous les ans des hôpitaux de Paris.
L'espérance de vie professionnelle d'une infirmière à l'hôpital est
de 8 ans en moyenne.
Si ce bilan est le résultat des 30 dernières années de politique sanitaire, la loi Touraine va pulvériser le mur désormais fragile d'une profession au rôle de ciment sociétal.
Alors que la population vieillit (hausse de 20 % des plus de 75
ans de 2006 à 2016 - INSEE 2016), les difficultés d'accès aux soins
vont se multiplier, les délais d'attente s'allonger pour des
patients désormais soumis à des contrats de mutuelles ou
d'assurances lowcost dans le cadre de l'ANI (accord national
interprofessionnel), alors que les contrats responsables, favorisés
par des cadeaux fiscaux aux complémentaires, limitent l'accès aux
soins et laissent aux seuls détenteurs de sur-complémentaires le
libre choix de leur praticien.
La perte de liberté sera la règle pour des patients au parcours
désormais fléché, otages économiques d'une politique qui nie
l'humain et l'individualisation du soin. Les Groupements
Hospitaliers de Territoire imposeront les lieux d'hospitalisation
au mépris de l'histoire locale, des spécificités régionales ou du
simple choix de chacun (Brioude dont les administrés se voient
imposer les hospitalisations au Puy en Velay en est un bon
exemple).
Kafka
Dans ce système kafkaïen, les patients auront perdu la propriété
même de leurs données médicales, désormais numérisées, et
consultables par des non soignants sur leur dossier médical partagé
ou monnayées à partir de la base de données patient.
Les médecins désormais assujettis aux organismes assurantiels
voient leur liberté et leur indépendance se réduire pour n'être
demain que seul souvenir.
Sans espoir de reconnaissance et de juste considération, ils voient
leurs tarifs prisonniers d'un Objectif National des Dépenses
d'Assurance Maladie, au double effet pervers : les rendre coupables
de son dépassement et donc de leur propre blocage tarifaire, et
lier les tarifs de leurs actes aux choix politiques et économiques
du gouvernement en place.
Dans ce contexte d'effondrement, les assureurs complémentaires,
acteur d'un marché décomplexé, n'ont de cesse de demander
l'extension des réseaux de soin à la sphère médicale. Les médecins
et les patients y seraient sous contrats, prisonniers de l’intérêt
économique des complémentaires désormais organisatrices du
soin. Les structures sont prêtes, il ne manque qu'un décret
ou la poursuite du désengagement de la Sécurité sociale au bénéfice
des complémentaires jusqu'à les rendre à remboursement
majoritaire.
Ce serait l'aboutissement, le dernier acte de la politique
Touraine.
Face à cette crise sans précédent dont aucun candidat à la
magistrature suprême n'a saisi la gravité, la signature
conventionnelle est une erreur politique majeure.
Les accords conventionnels apparaissent insignifiants face au
monstre qui s'annonce... Ils ne sont qu'un outil du système,
les signataires l'ignorent-ils?
Toute perte de temps face à la reconstruction du système sanitaire est coupable, et face aux responsables politiques, nous avons un devoir d'alerte et de vérité.
La gouvernance, le financement et la démocratie sanitaire, base organisationnelle de notre système de soins doivent être entièrement revus, et ce, avec tous les acteurs et toutes les générations.
Nous n'avons d'autres choix que le courage et l'audace.
Face à l'article 1 de la loi de modernisation de la Santé qui
fait de l'état le responsable de la politique de santé, rappelons
ce qu'écrivait Friedrich Nietzsche : « Les médecins les plus
dangereux sont ceux qui, comédiens nés, imitent le médecin né avec
un art consommé d'illusion ».
A tous les soignants, rappelons Vaclav Havel : « L'indépendance
n'est pas un état de choses, c'est un devoir ».