
En unité de soins intensifs post-chirurgicaux (USIChir), la perte musculaire est très rapide, amplifiée par l’absence de mobilisation. Bien que la mobilisation intentionnelle précoce, protocolisée et coordonnée des patients graves au décours immédiat de la chirurgie soit souvent limitée voire taboue, au nom du sacro-saint principe du tout sécuritaire pendant les premières 72 heures, quel pourrait être son impact sur la mobilité et l’autonomie fonctionnelle du patient opéré au sortir de l’hôpital et sur les durées moyennes de séjour (DMS) en USIChir et à l’hôpital ?
Lève-toi et marche
Il s’agit de la première étude du genre conduite en milieu chirurgical, multicentrique internationale (5 hôpitaux universitaires : 1 allemand, 1 autrichien, 3 américains), randomisée, à double insu des assesseurs. Entre juillet 2011 et novembre 2015, ont été inclus les post-opérés âgés de plus de 18 ans ventilés mécaniquement depuis moins de 48 heures mais avec une durée de ventilation attendue d’au moins 24 heures supplémentaires. On été exclus : indices de Barthel < 70 (0 = dépendance totale, 100 = complète autonomie) 2 semaines avant l’intervention, admissions plus de 5 jours avant l’inclusion, scores de Glasgow < 5, insuffisances d’organe avec probabilité de décès > 50 % dans les 6 mois, hypertension intra-crânienne, arrêts cardio-respiratoires, infarctus du myocarde, maladies neuro-musculaires, grossesses, anévrismes de l’aorte fissurés ou rompus, fractures instables immobilisantes, amputations des jambes.
Un programme orchestré
Alors que dans le groupe contrôle la mobilisation était celle pratiquée en routine, dans le groupe intervention un facilitateur-coordinateur expérimenté (infirmier, kinésithérapeute ou médecin) qui ne participait pas lui-même à la mobilisation, définissait dès J1 avec l’équipe un objectif de mobilisation pour la journée (évalué chaque soir et réalisé dans 89 % des 918 jours de l’étude) selon un algorithme de mobilisation intentionnelle précoce combiné à une communication inter-professionnelle accrue et facilitée par des pictogrammes : niveau 0 (pas de mobilisation), 1 mobilisation passive, 2 (position assise), 3 (position debout), 4 (déambulation).
Dans les 2 groupes, les patients bénéficiaient quotidiennement de tentatives de réveil, de tentatives de ventilation spontanée, d’évaluations neurologiques, de la douleur et de l’alimentation entérale.
Le principal critère de jugement était le résultat fonctionnel mesuré en USIChir par le SICU optimal mobilisation score (SOMS) de 0 (absence de mobilisation) à 4 (déambulation). Les critères secondaires étaient la DMS et la valeur du mmFIM (mini-score fonctionnel d’indépendance modifié, pour la locomotion simple et pour le transfert actif du lit au fauteuil) à la sortie de l’hôpital.
Des résultats très probants
L’analyse en intention de traiter montre un meilleur niveau de mobilisation (52 % SOMS 4 = déambulation vs 25 %) et atteint beaucoup plus tôt dans le groupe intervention des 104 patients (SOMS moyen 2,2 [DS 1,0]) que dans le groupe contrôle des 96 patients (1,5 [0,8], p < 0,0001), une moindre DMS en USIChir (moyenne 7 jours [DS 5–12] vs 10 jours [6–15], p = 0,0054), une meilleure mobilité fonctionnelle à la sortie de l’hôpital (score mmFIM 8 [4–8] vs 5 [2–8], p = 0,0002) et moins d’épisodes délirants.
Par contre dans le groupe intervention, plus d’effets adverses mais non graves, ont été rapportés (25 cas [2,8 %]) vs 10 cas [0,8 %]), telle l’hypotension. Les taux de décès intra-hospitaliers (17 [16 %] vs 8 [8 %]) et dans les 3 mois après la sortie (21 [22 %] vs 15 [17 %]), ne différaient pas significativement (p=0.09 et p=0.35).
Rompre les tabous et le cercle vicieux de la perte musculaire précoce
La mobilisation intentionnelle précoce protocolisée, bien que réclamant de fortes coordination et communication interdisciplinaires, mais pas de personnel supplémentaire, brise le cercle vicieux de la dépendance, améliore les capacités fonctionnelles et l’autonomisation du post-opéré, tout en raccourcissant les DMS en USIChir et à l’hôpital.
Cela conforte pleinement les programmes de « récupération améliorée après chirurgie", apparus dans les années 1990 au Danemark et récemment encouragés par la HAS (1), qui permettent de raccourcir la convalescence d'un opéré, réduisant ainsi la survenue de complications. De récentes expérimentations en France ont montré une réduction de la DMS de 4,5 jours pour la chirurgie colorectale (11 jours vs 15,5) et de 3 jours pour les chirurgies de la hanche et du genou (6 jours vs 9).
Osons !
Dr Bernard-Alex Gaüzère