
Paris, le samedi 22 octobre 2016 – Les urgences sont malades. Ce ne sont pas seulement les débordements de violence médiatisés ces derniers jours qui le révèlent : rien ne peut justifier les coups, les brimades, les insultes, pas même une très longue attente sans visibilité sur la fin de celle-ci. Ce sont surtout les descriptions attristées des médecins qui évoquent notamment une surcharge de travail que rien ne semble devoir endiguer qui forgent le diagnostic. Et chaque jour, chaque soir, la même constatation : le fonctionnement des services serait grandement facilité si nombre de patients, dont l’état ne nécessite nullement une prise en charge hospitalière, consultaient un médecin de garde.
Maisons médicales de garde : utiles mais insuffisantes
On en parle pourtant régulièrement, on précise leur ouverture, on vante leur inauguration : les maisons médicales de garde ont été présentées par tous les représentants politiques, quel que soit leur bord, comme la première des solutions face à l’engorgement des urgences. Et elles existent ces maisons médicales de garde. Sont souvent bien conçues. « On a une chouette MMG (maison médicale de garde). Dans des locaux propres, bien équipés » confirme le médecin généraliste auteur du blog Farfadoc. Pourtant, le système de gardes ne fonctionne pas toujours de manière optimale. La faute aux praticiens libéraux qui n’assument pas leur responsabilité ? Pas si simple, témoigne Farfadoc, qui évoque les écueils du volontariat et les failles du système actuel dans une note récente.
Un système « bancal »
Elle constate tout d’abord que lors de la dernière réunion
destinée à organiser le planning de garde : « Sur les 54
médecins du secteur, on était moins de 25. Et il y en a dix-huit
qu’on a jamais vu(e)s ». Pourtant, si chacun participait, la
répartition des gardes serait douce. « En théorie, c’est moins
d’une garde par mois » calcule en effet Farfadoc. Mais la
pratique est différente. Difficile d’ailleurs de totalement blâmer
ceux qui ne sont jamais volontaires. « Le secteur est grand, on
fait des bornes, surtout quand on n’habite pas dans le secteur. Ça
m’est arrivé plusieurs fois de dépasser les 200 km sur une
astreinte. Et comme on compte les kilomètres depuis la MMG et pas
depuis notre domicile, c’est pas "rentable" (j’habite à plus de
40km). Pour une journée bloquée, qu’on passe dans la voiture et pas
en famille, ni au bord de la mer ou au ciné, c’est dans les 200 ou
300 euros max (et faut déduire les charges perso, là dessus,
évidemment). Alors personne n’aime les astreintes »
décrit-t-elle, constatant que la situation diffère concernant les
gardes, qui se révèlent plus "rentables". Néanmoins, certaines
dates coincent, comme les réveillons. « J’ai eu de la chance.
Quelqu’un a craqué avant moi. Je ne serai pas de garde cette année
à Noël. Mais je trouve très injuste que ça se soit joué entre
celles et ceux qui avaient fait l’effort de venir »
observe-t-elle remarquant une nouvelle fois les limites du
volontariat avant de détailler : « L’organisation de la
permanence des soins est particulière. C’est une obligation
déontologique. Mais (…) on ne peut pas forcer les médecins à
prendre des gardes. Sauf cas exceptionnels et réquisition. Mais il
faut compléter le tableau de garde. Déontologiquement parlant, on
ne peut pas laisser de dates sans personne. Alors les volontaires
bouchent les trous, même sur des dates qui ne les arrangent pas.
Pendant que d’autres restent tranquilles chez eux, ou ont juste
donné une liste de quelques dates qu’ils/elles veulent bien
prendre. C’est un peu démotivant. Surtout quand parfois, dans mon
entourage, on me dit que je suis trop bête de le faire si je suis
pas obligée » analyse-t-elle avant de s’interroger sur la
pérennité sur « l’équilibre précaire » du système.
Dans un tel contexte, difficile d’espérer qu’une permanence de
soins efficace permette de faire face à l’engorgement des urgences,
même si le système contraignant a également ses limites.
Spécialiste de nuit et généraliste de jour
Pour comprendre pourquoi certains se sont désintéressés de la permanence de soins, de "l’urgence", Luc Perino revient sur le basculement absurde qui a pu s’opérer il y a quelques décennies. « Pendant longtemps les médecins de famille ont été habitués à ne faire appel à des spécialistes que pour des cas qu’ils jugeaient sérieux. Les généralistes étaient nommés médecins "traitants" et les spécialistes, généralement hospitaliers, étaient des "consultants". Il était admis que les omnipraticiens, s’ils n’avaient pas toutes les expertises, avaient au moins celle de la gravité et étaient aptes à décider seuls de l’urgence absolue ou relative. Lorsque les spécialistes ont commencé à devenir significativement plus nombreux en ville, dans les années 1970-1980, les patients ont eu recours à ces experts plus abordables, indépendamment de toute notion de gravité ou d’urgence. Les spécialistes prirent alors l’habitude de gérer des cas bénins, dont ils découvrirent aussi l’intérêt commercial. Leur moindre disponibilité aboutit même à certains retournements de situation. Par exemple, les urgences pédiatriques de nuit et de week-end revenaient aux généralistes, alors que les vaccinations et consultations routinières de jour et de semaine revenaient aux pédiatres. Ou encore, la réduction de personnel dans les hôpitaux en période de vacances, modifia le concept d’urgence. Un généraliste qui appelait un expert en mars ou en novembre se voyait conseillé d’hospitaliser son patient sans délai, et lorsqu’il appelait en août, pour un cas similaire, il était alors félicité de ses bons soins à domicile. Certains omnipraticiens s’en amusaient en se déclarant spécialiste de nuit et généraliste de jour ou hospitalier d’été et libéral d’automne » raconte-t-il. Un tantinet absurde, l’évolution a pu favoriser une certaine désaffection des médecins généralistes pour la permanence de soins, face à cette redistribution confuse des rôles.
Quand ni les urgences, ni la permanence de soins ne sont nécessaires
Ainsi, semble-t-il nécessaire d’engager un véritable travail de fond pour faire renaître une permanence de soins qui ne soit plus perçue par les médecins comme un boulet auquel on accepte de moins en moins de se plier, faute d’obtenir une juste reconnaissance de son rôle. Mais un autre levier existe également probablement pour lutter contre l’engorgement des urgences : l’éducation des patients. Alors que le généraliste Baptiste Beaulieu a récemment fait œuvre dans ce sens en rappelant dans une vidéo très commentée et que nous avons également évoquée dans ces colonnes les raisons pour lesquelles un praticien peut être en retard (ce qui s’applique également aux services des urgences), Luc Perino invite de son côté à méditer quelques données : « Des chiffres surprenants révèlent que 5 à 10 % des parents quittent les urgences sans que leur enfant ait été examiné. Parmi ces délaissés, 85 % guérissent sans soins dans les jours suivants. Voilà qui autorise désormais à conseiller aux parents de retarder, voire d’éviter, les consultations de généralistes et pédiatres nocturnes et diurnes. La désertion des soignants et l’encombrement des urgences nous apprennent qu’en matière de soins, il est souvent urgent d’attendre ».
Pour relire ces réflexions sur l’organisation (ou la
désorganisation) des soins, vous pouvez vous rendre sur les blogs
de :
Farfadoc :
https://farfadoc.wordpress.com/2016/09/15/volontariat-obligatoire/
Luc Perino :
http://expertiseclinique.blog.lemonde.fr/2016/10/17/il-est-urgent-dattendre/
et Baptiste Beaulieu : http://www.alorsvoila.com/le-secret-un-peu-honteux-de-bibi
Aurélie Haroche