
Paris, le mardi 8 novembre 2016 – Permettre à ceux qui l’ont traversée de raconter l’horreur a été une priorité au lendemain des attentats du 13 novembre. Des cellules d’urgence médico-psychologiques ont été immédiatement déployées pour entendre le récit de ceux qui étaient sur les lieux. Cependant, concernant l’indemnisation, le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) ne prévoit pas de couvrir le préjudice d’anxiété, c'est-à-dire d’offrir une réparation pour ces heures passées dans le chaos (au-delà de l’indemnisation des troubles psychologiques qui ont pu être développés par certains).
Un préjudice pour les heures passées face au vide
Les avocats qui assurent la défense de ces victimes y voient une aberration. A l’heure où le préjudice d’anxiété connaît un succès grandissant auprès des tribunaux, et tandis que les familles des victimes de l’accident de car survenu le 23 octobre 2015 à Puisseguin ont obtenu la reconnaissance d’un tel préjudice, les avocats considèrent qu’une même appréciation doit s’imposer pour les rescapés du 13 novembre et les proches de toux ceux qui étaient présents au Bataclan ou aux terrasses de café. Dans un livre blanc remis hier au Secrétaire d’état aux victimes, 170 avocats au barreau de Paris, en une association rare, appellent ainsi à l’inclusion du préjudice d’anxiété dans les critères ouvrant droit à une indemnisation par le FGTI. Ce préjudice est lié à « la conscience d’une mort imminente » et au basculement en quelques secondes « d’un moment de loisir ou de fête à une scène de guerre » détaillent les avocats. Ils souhaitent également que les proches puissent voir reconnu leur « préjudice d’attente ». Il s’agit ici d’obtenir réparation pour les longues heures pendant lesquelles certaines familles ont dû patienter pour avoir des informations exactes sur le devenir de leur proche. Les avocats évoquent notamment « les circonstances dans lesquelles les victimes par ricochet ont été informées de l’état de santé/du décès » de la victime principale.
Une question de coût ?
En recevant le livre blanc, le Secrétaire d’Etat aux victimes, Juliette Méadel, est apparue favorable à une telle évolution. « Il ne fait (…) pas de doute, aujourd’hui, que l'angoisse des victimes directes et l'attente des victimes indirectes constituent, à plus forte raison en cas d'acte terroriste, des préjudices à prendre en compte dans l'évaluation, au cas par cas, de l'indemnisation (...). Le préjudice d'angoisse et d'attente est évidemment là et je m'emploierai à convaincre tout ceux qui, aujourd'hui encore, persistent à en douter », a-t-elle déclaré. Cependant, des considérations financières pourraient freiner cette évolution. La reconnaissance de tels préjudices pourrait en effet faire considérablement grimper la fracture de l’indemnisation, d’autant plus qu’aux victimes du 13 novembre s’ajoutent aujourd’hui celles de Nice. Mais les avocats veulent rappeler les pouvoirs publics à leurs promesses. « Il a été affirmé et réaffirmé, notamment par le président de la République, qu'il n'y aurait pas de problème de financement, que ce n'était pas un sujet » a fait remarquer Maître Frédéric Bibal. Doté pour ce faire d’une enveloppe théorique de 300 à 400 millions d’euros, le FGTI n’a pour l’heure distribué que 43,8 millions d’euros aux victimes du 13 novembre. Son fonctionnement commence à susciter les critiques de certaines associations familiales qui se sont constituées au lendemain de la tragédie.
Aurélie Haroche