Exclusif : les médecins et les infirmières contre un droit de prescription pour les pharmaciens

Paris, le lundi 5 décembre 2016 – Depuis longtemps, l’idée d’instaurer un droit de prescription pour les pharmaciens est avancée par des collectifs d’officines, dont les revendications ne sont cependant pas entièrement relayées par les syndicats majoritaires. Allant plus loin que ces derniers, ces groupes défendent l’idée que pour exercer pleinement leur mission de professionnel de santé et pour jouer un rôle significatif dans l’organisation des soins, les pharmaciens devraient se voir reconnaître un pouvoir de prescription face à des affections bénignes. Différents pays ont déjà franchi le pas. En Suisse, cet été, par exemple, les résultats d’une enquête conduite quelques mois plus tôt, révélaient que désormais la population paraît considérer plus « naturel d’aller à la pharmacie en cas de légères affections plutôt que d’aller chez le médecin ».

Des freins multiples en France

En France, même si en pratique, les Français éprouvent une grande confiance en leurs pharmaciens et se tournent naturellement vers eux en cas de symptômes légers, aucun entérinement officiel n’a permis à cette pratique de s’étoffer. La particularité de notre système d’assurance maladie explique cette situation : pour bénéficier d’un remboursement, une partie des patients préfèrent se tourner vers leur médecin afin de pouvoir présenter une prescription. Par ailleurs, peut-être plus que dans d’autres pays, même s’ils ne sont pas totalement épargnés par les querelles du genre (la Suisse en est un exemple), il existe un fort cloisonnement entre les professions de santé et une réticence marquée à l’idée de transférer et partager certaines compétences.

Sondage réalisé par le Journal International de Médecine du 16 au 30 novembre 2016

Des médecins et des infirmières très hostiles à l’idée d’un élargissement du droit à la prescription

Dépassant ces écueils, un collectif de pharmaciens a récemment proposé d’élargir les missions des pharmaciens. Parmi elles, pourrait figurer l’instauration d’un droit de prescription pour les affections bénignes. L’idée est cependant loin de faire recette auprès des professionnels de santé.

Un sondage réalisé sur le JIM du 16 au 29 novembre auprès de 621 professionnels de santé met en évidence un rejet net des professionnels de santé (dans leur ensemble) quant à la possibilité de permettre aux pharmaciens une prescription remboursée de médicaments face à des affections bénignes. Seuls 31 % de nos lecteurs ayant participé au sondage s’y montrent favorables, quand ils sont 68 % à repousser une telle proposition. Signe par ailleurs que le sujet est bien tranché et que des nuances (concernant par exemple la prise en charge) ne permettraient guère de faire évoluer cette position : seuls 1 % des lecteurs du JIM ont préféré ne pas se prononcer.

Le détail des résultats en fonction des professions semble bien confirmer l’impact du refus de transfert de compétences. Ainsi, 81 % des médecins sont hostiles à l’idée d’une prescription par les officinaux et remboursée.

Plus marquant encore, bien qu’elles soient moins directement concernées et qu’elles aussi pourraient considérer qu’élargir le droit de prescription pourrait être un moteur d’interprofessionnalité et d’assouplissement du parcours de soins, 83 % des infirmières ayant répondu à notre sondage refusent également une telle évolution. On voit bien ici qu’il s’agit d’une opposition de principe, à laquelle peut s’ajouter la crainte de dérives et l’interrogation concernant les responsabilités légales.

Mais des pharmaciens très favorables !

Parallèlement, et à l'inverse, les pharmaciens paraissent convaincus de leur aptitude dans ce domaine et du rôle qu’ils pourraient jouer : ils sont en effet 85 % à être favorables à cette proposition. Mais pour l’imposer, il faudra sans doute une évolution profonde, qui paraît bien éloignée.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (22)

  • A leurs risques et périls

    Le 05 décembre 2016

    Quand on voit arriver aux urgences des varicelles graves à qui on a donné en pharmacie de la Roche Pozay, des infections cutanées à qui on donne du Nurofen pour la douleur et qui arrivent avec une cellulite, sans compter les divers produits inutiles pour des affections nécessitant un traitement spécifique urgent, on ne peut qu'être réticent à laisser octroyer le pouvoir de prescrire aux pharmaciens. Ils sont le premier recours des patients et sont parfois à l'origine d'une perte de chance pour le patient.

    Si les pharmaciens obtiennent le pouvoir de prescrire, que ce soit à leurs risques et périls avec possibilité d'être attaqués. Un pharmacien normal et prudent et ne se substitue pas au médecin et ne laisse pas un élève ou un préparateur prescrire en son nom.

    Dr Carole Vidal

  • Pathologies bénignes ?

    Le 05 décembre 2016

    Pour savoir s'il s'agit d'une pathologie bénigne, il faut interroger puis examiner, deux choses que les pharmaciens savent peu faire ou ne savent pas du tout faire. Sinon il y aura des pépins. Chacun son métier.

    1° Ce n'est pas parce que "la population considère", que la population a raison.

    2° "Transfert/partage de compétences" ? Terminologie à la mode. On a la compétence de distinguer une affection bénigne d'une affection sévère quand on est médecin, c'est-à-dire quand on sait mener un interrogatoire, pratiquer un examen clinique, et éventuellement quels examens complémentaires prescrire. Ce n'est pas le métier du pharmacien. Et ce n'est même pas toujours facile pour un médecin, on le sait bien. Cela peut demander un interrogatoire soigneux et un examen clinique poussé, qui ne seront pas faits en pharmacie. Appendicite qui ressemble à une gastro-entérite, pneumopathie qui ressemble à une grippe, etc., etc., les exemples sont nombreux où l'examen clinique voire les examens complémentaires permettront de trancher, ce que ne pourrait pas faire un pharmacien.

    Nous connaissons tous des cas de délivrance inadaptées de produits OTC par des pharmaciens à des patients auxquels il eût fallu conseiller d'aller voir un médecin au plus vite.

    3° "Opposition de principe" des infirmiers ? N'est-ce pas plutôt du bon sens ?

    Dr Anne-Claire Moreau

  • Après une véritable réforme des études

    Le 07 décembre 2016

    En réponse à C Vidal. Quelle suffisance et quelle arrogance ! Le diplôme de médecine ne protège pas de la stupidité. Il vous faudra accepter que d'autres aient un savoir et peuvent en savoir plus que vous (un de nos professeur nous rabâchait: sachez en toujours plus que votre concierge!). Oui à la prescription en pharmacie après une véritable réforme des études.

    D Béranger

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