
P. BÉGUÉ,
Président de l’Académie de médecine, Paris
La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) adoptée par l’assemblée générale de l’ONU en 1989 définit parfaitement leurs droits fondamentaux, dont la santé fait partie. La prévention, et en particulier la vaccination, est au cœur de ce droit à la santé unanimement approuvé par les états signataires. Si cette convention fut en priorité destinée aux pays défavorisés, elle concerne en fait tous les enfants du monde, et l’on sait qu’en France comme ailleurs certains peuvent être privés de tout ou partie de leurs droits. La montée actuelle de la contestation envers les vaccins oblige à s’interroger sur la mise en danger de ceux qui seraient non ou incomplètement vaccinés.
Droit à la santé et droit au refus de vaccination
Il faut compter avec la loi française du 4 mars 2002 qui exige le consentement du patient pour tout acte médical. Le droit à la vaccination pour l’enfant est à opposer au consentement des parents, voire de l’enfant. La nécessité d’un consentement implique la possibilité d’un refus de vaccination. Or, la question se pose de plus en plus en France depuis quelques années.
La situation actuelle : opposition et hésitations face à la vaccination
Le pays de Pasteur, de Gaston Ramon ou de Calmette a bien changé en 30 ans, car l’opinion à l’égard des vaccins s’est presque inversée. La confiance dans cet acte de prévention exceptionnel a fait place à la réserve, parfois même à l’hostilité du public, encouragées par internet et les médias qui ne cessent de commenter de prétendus scandales ou des révélations pseudo-scientifiques sur les vaccins. Les experts autoproclamés se sont multipliés et ils vont à l’encontre des recommandations des instances de santé publique du pays. La mode des médecines alternatives, des médecines douces, de l’homéopathie, certaines écoles philosophiques (écoles Steiner) renforcent l’audience des messages erronés ou antivaccinaux. Si le refus total des vaccins ne dépasse pas 2 %, il existe en revanche aujourd’hui, en France, 15 à 20 % de personnes « hésitantes » selon les pays et les enquêtes(1). La traduction en est diverse : refus d’un vaccin précis – souvent celui de l’hépatite B ou le vaccin HPV (Human papillomavirus vaccines) – mais aussi refus de toutes les vaccinations recommandées en exigeant le seul vaccin diphtérie-tétanos-polio (DTP) non disponible. À cela s’ajoutent les reports de vaccination et les oublis, qui vont donc aboutir à des calendriers vaccinaux incomplets, fantaisistes et surtout à un manque de protection préjudiciable à l’enfant. On le met en danger, on lui fait perdre des chances et l’on crée ainsi une inégalité très surprenante dans un pays nanti comme la France. Il en résulte une baisse de la couverture vaccinale et un risque de résurgence de certaines maladies. Le meilleur exemple en est la rougeole, dont le vaccin très efficace exige cependant que la population-cible soit vaccinée par deux doses avec une couverture très élevée de 95 % pour la première dose. La mauvaise application des recommandations, due à l’hostilité de certains parents et de leurs médecins à cette vaccination, a été à l’origine de l’épidémie de 2008-2011 avec 23 000 cas et 10 morts.
Un besoin d’information et d’explication
La première solution – et la plus pertinente – pour faire diminuer cette inquiétante montée des « hésitants vaccinaux » consiste en une meilleure information des parents. Depuis près de 20 ans, toutes les publications sur la question du refus vaccinal montrent clairement dans tous les pays que l’information des citoyens et des familles sur la vaccination est insuffisante, voire absente. En France, le médecin s’est habitué à ne pas expliquer puisque la vaccination était obligatoire. Aujourd’hui, tous les services nationaux de santé publique insistent sur la nécessité d’une explication patiente en réponse aux questions. Le rôle du médecin et des professionnels de santé est donc essentiel. Mais, pour y parvenir, il faudra améliorer très nettement leur formation en vaccinologie, souvent absente ou réduite à peu d’heures dans le cursus actuel des étudiants en médecine. La formation post-universitaire réclame aussi une meilleure place, d’autant que les médecins sont très présents aux sessions sur les vaccins dans les congrès ou réunions de sociétés savantes. Pour remédier aux fausses informations sur les vaccins, il est souhaitable que le public trouve sur internet des sites contrôlés ayant un label de fiabilité.
Que faire face à un refus vaccinal des parents ?
Le Code de déontologie français est très clair : « Le médecin doit être le défenseur de l’enfant lorsqu’il estime que l’intérêt de sa santé est mal compris ou mal préservé par son entourage » (article 43) et s’il s’agit d’un mineur le médecin « doit s’efforcer d’obtenir le consentement de ses parents ou de son représentant légal » (article 42). Lorsque le médecin se trouve face à des parents refusant un vaccin ou face à des parents hésitants, donc en passe d’abstention vaccinale, il doit déployer toute son énergie pour les convaincre. S’il ne le fait pas, ce médecin sera en faute. Il pourrait être considéré comme responsable en cas de maladie ayant entraîné une complication, et il lui serait reproché de ne pas avoir informé la famille ou le patient avec suffisamment de conviction et d’arguments. Si les parents s’opposent, malgré les efforts du médecin, à toute vaccination ou s’ils n’acceptent que les « trois vaccins obligatoires », il est conseillé par le conseil de l’Ordre des médecins de faire signer une attestation de refus en deux exemplaires et de faire également figurer ce refus sur le carnet de santé de l’enfant. On n’omettra pas de mentionner les risques encourus par ce refus (2). Des sanctions sont prévues par le Code de la santé publique pour le refus des vaccins obligatoires, 6 mois d’emprisonnement et une amende, mais elles ne sont jamais appliquées. Tout au plus, la maltraitance ou le refus de soins pourraient être invoqués, mais ce n’est qu’en face de situations dramatiques que ces décisions sont prises par la justice. On se souvient de cas récents chez des enfants non vaccinés d’un décès par diphtérie en Espagne ou d’un cas dramatique de tétanos à Tours mais heureusement guéri. Devant le refus de vaccination, le droit oppose l’obligation d’être scolarisé à l’obligation vaccinale. La vaccination n’étant pas considérée comme un soin, la notion de refus de soins n’apparaît pas pour le juge. Néanmoins, ces situations de refus total sont exceptionnelles et il est toujours conseillé de revoir les parents après un petit temps de réflexion, ce qui permet parfois de vaincre leur réticence et de pratiquer une vaccination.
Expliquer aux parents la notion de « bénéfice/risque »
Dès qu’hésitation ou refus se mettent sur la route de la
vaccination, le médecin doit consacrer beaucoup de temps s’il veut
défendre l’enfant avec succès. Il devra user d’arguments
scientifiquement précis mais clairement présentés. Toute la
stratégie va s’inscrire autour de la notion de bénéfice/risque, qui
est essentielle. Il peut s’aider des recommandations officielles :
Haute Autorité de santé (HAS), Inpes, InfoVac et de documents sous
forme de fiches (3). Le médecin a également le devoir d’aborder la
question du bénéfice individuel et du bénéfice collectif, souvent
discutée face à l’individualisme de la société occidentale moderne.
Pour les uns, la vaccination est individuelle et liée à un choix
personnel, tandis que pour d’autres l’avantage de la protection
collective est un argument supplémentaire pour améliorer la santé
publique. Or, les parents hésitants ou opposés sont plus souvent
sur le versant individualiste. Il faut savoir répondre à des
questions récurrentes bien connues obtenues lors des enquêtes de
populations. Pour les vaccins obligatoires, la rumeur dit que les
maladies ont disparu et que les vaccins sont inutiles. Le médecin
peut rappeler que, grâce à la vaccination, la diphtérie et la
poliomyélite ont quasiment disparu : 45 000 cas de diphtérie en
France en 1954, dont 3 000 décès et moins de 5 cas annuels depuis
1982 (à la suite de la généralisation du vaccin en 1948), 350 000
cas de poliomyélite dans le monde en 1988, 500 seulement en 2011.
Il expliquera aussi que le bacille tétanique étant dans le sol, il
n’y a aucun espoir pour qu’il soit éradiqué. À l’égard des vaccins
récents, tous recommandés – et non obligatoires –, le médecin
devrait disposer des objectifs – dits « rationnels » – qui ont
présidé à la mise de ces vaccins dans le calendrier vaccinal. Ces
notions sont rarement exposées dans les débats, alors qu’elles sont
parfaitement connues et établies d’une manière nationale et
internationale. Elles peuvent d’ailleurs être prises comme un
exemple de la médecine par les preuves. On peut facilement
démontrer que la vaccination de la rougeole a fait disparaître
l’encéphalite de Van Bogaert ou les encéphalites morbilleuses,
chiffres à l’appui. Le vaccin de la rubéole a pratiquement fait
éradiquer la redoutable rubéole congénitale et le vaccin contre
l’Haemophilus influenzae b a presque éliminé la méningite
à Haemophilus influenzae b chez les nourrissons en France,
depuis 20 ans. On peut multiplier ces exemples, avec des chiffres
que les parents doivent connaître lorsqu’on les renseigne sur la
vaccination de leurs enfants. Ce sont des arguments solides contre
les fausses informations, telles que celle affirmant que la
poliomyélite ou la diphtérie ont disparu sous la seule action de
l’hygiène. Le risque de maladies auto-immunes et celui des
adjuvants est aussi de plus en plus souvent invoqué depuis les «
crises » du vaccin de l’hépatite B ou de la grippe H1N1. Il faut
connaître les résultats scientifiques des études publiées contre
ces allégations afin de rassurer les parents. Ces notions
clairement exposées rétablissent la balance bénéfice-risque face à
des craintes non fondées scientifiquement.
Faut-il rendre obligatoires les vaccins recommandés ? |
---|
Au moment où Pierre Bégué nous a adressé son texte, les conclusions du Comité d’orientation sur la vaccination, présidé par Alain Fischer, n’étaient pas encore connues. Après consultations, auditions, mise en place d’un espace participatif en ligne et de deux jurys, l’un citoyen, l’autre composé de professionnels de santé non spécialistes de la vaccination, ces recommandations ont été rendues publiques le 30 novembre dernier. Parmi les 6 axes développés par le comité, le dernier a été le plus commenté. Il propose « (…) un élargissement temporaire de l’obligation vaccinale avec clause d’exemption, jusqu’à ce que les conditions soient réunies, à terme, pour une levée de l’obligation. » Outre qu’on ne peut que constater la difficulté de ménager santé publique et sensibilité du public, il reste à voir maintenant si le ministère suivra les recommandations du Comité, et celle là en particulier. |
Le droit à la vaccination dans les pays en développement
Les arguments développés ci-dessus sur ce droit s’adressent d’abord aux enfants de nos pays nantis, voire gâtés sur le plan sanitaire, où la plupart des vaccins sont gratuits et disponibles. Or, ce droit est universel et il concerne aussi et à un degré souvent vital, les enfants des pays pauvres. On y meurt encore de rougeole, de coqueluche et de méningites. D’ailleurs, on oublie souvent que certains vaccins furent recherchés d’abord pour ces pays : le vaccin de la rougeole, de l’hépatite B, du rotavirus et même le vaccin contre le papillomavirus humain (HPV) car le dépistage du cancer du col n’y sera peut-être jamais accessible. Pour diverses raisons socio-économiques, ces vaccins sont en fait mis d’abord à la disposition des pays plus riches, où se développent curieusement les craintes vaccinales et l’opposition. Il est bon de rappeler les efforts de l’Unicef ou de la Fondation Bill & Melinda Gates afin que les enfants des pays pauvres aient le droit de ne plus mourir de ces maladies. Il serait bon de le rappeler de temps en temps à nos parents hésitants.
En conclusion
L’hésitation ou l’opposition des parents à faire vacciner leur enfant provient d’une véritable désinformation dans notre société moderne. Leur consentement devrait aller dans le sens du droit de leur enfant, c’est-à-dire à être protégé contre les maladies. Ce n’est que par une information patiente et bien documentée que le médecin, généraliste ou pédiatre, parviendra à convaincre. Pour être le « défenseur » de l’enfant, il se doit d’apporter cette démarche d’écoute et d’explication, plus que jamais nécessaire dans une société occidentale très individualiste.
Références
1. Bégué P. Le refus des vaccinations. Aspects actuels en 2012
et solutions en santé publique. Bull Acad Natl Med 2012 ; 196(3) :
603-17 ; discussion 617-20.
2. Pouillard J. Comment faire face à un refus de vaccination ?
Bulletin de l’Ordre n°20, décembre 2003. 3.Gaudelus J. Ethique et
vaccination. Arch Pediatr 2008 ; 15(5) : 676-8.